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Accident mortel : nouvelle obligation pour l’employeur
Vers une confirmation de la sacralisation de l’avis du médecin conseil de la caisse primaire en matière de date de 1ère constatation : ce qui est sacré ne peut être contrôlé
Concomitance entre l’autorisation de licenciement et la tentative de suicide du salarié : accident du travail ou pas
Sur la saisine du CRRMP par les juridictions du fond lorsque les victimes en font la demande dans le cadre d’une action en faute inexcusable
Une leucémie aiguë myéloïde constitue-t-elle un syndrome myéloprolifératif inscrit au tableau 4 des maladies professionnelles ?
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Édito
A l’issue de notre webinaire sur la stratégie de défense de l’employeur en matière de harcèlement moral, nous vous proposons en Une, l’analyse du revirement de jurisprudence quant à la preuve à rapporter en matière de contestation d’un licenciement pour dénonciation de faits dégradant les conditions de travail.
Vous trouverez ensuite la veille jurisprudentielle préparée par toute l’équipe du cabinet que je remercie à nouveau pour sa participation.
Sans modifier notre ligne éditoriale, nous avons repensé la finalité de notre veille jurisprudentielle. En effet et avant de la considérer comme une information à l’égard de nos clients, nous l’abordons comme un document de travail et d’échange des membres de mon équipe.
Dernière publication trimestrielle avant les congés estivaux, j’en profite pour vous souhaiter de belles vacances, l’occasion de se poser les bonnes questions et de profiter des bons moments…
Valéry ABDOU
Protection du salarié qui dénonce des faits de harcèlement: abandon de l’exigence de qualification des faits
Dans cette affaire, une salariée, psychologue dans un foyer pour adolescents, a été licenciée pour faute grave.
En l’espèce, aux termes de la lettre de licenciement l’employeur lui reprochait pour l’essentiel d’avoir envoyé un courrier le 26 février 2018 aux membres du conseil d’administration pour dénoncer le comportement du Directeur du foyer en l’illustrant de plusieurs exemples qui ont entraîné, selon elle, une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé. Devant la juridiction prud’homale, elle sollicitait la nullité de son licenciement considérant qu’il était fondé sur la dénonciation des agissements de harcèlement moral dont elle se prétendait être victime. La Cour d’appel faisait droit à la demande de la salariée.
Au soutien de son pourvoi en cassation l’employeur soutenait premièrement que « si le licenciement motivé par la dénonciation de faits de harcèlement moral est en principe nul, sauf mauvaise foi du salarié, c’est à la condition qu’il soit effectivement reproché au salarié d’avoir dénoncé l’existence de faits de « harcèlement moral » ». Or, selon la lettre de licenciement, l’employeur reprochait à la salariée d’avoir adressé à la direction un courrier dans lequel elle avait non seulement « gravement mis en cause l’attitude et les décisions prises par le directeur tant à [son] égard que s’agissant du fonctionnement de la structure » mais aussi « porté des attaques graves à l’encontre de plusieurs de ses collègues quant à leur comportement, leur travail, comme à l’encontre de la gouvernance de l’Association ».
D’autre part, et s’éloignant des motifs visés dans la lettre de licenciement l’employeur faisait valoir que « si le licenciement motivé par la dénonciation de faits de harcèlement moral est en principe nul, sauf mauvaise foi du salarié, le juge ne peut prononcer la nullité du licenciement qu’à la condition que le salarié ait qualifié les agissements visés de « harcèlement moral »».
C’est sur ce dernier point que la Cour de cassation change de cap pour confirmer la décision d’appel. Dans son arrêt du 19 avril 2023 (pourvoi n°21-21053), la haute juridiction juge désormais que « le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il n’ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce. Ayant constaté que la lettre de licenciement reprochait à la salariée d’avoir adressé aux membres du conseil d’administration de l’association une lettre pour dénoncer le comportement du supérieur hiérarchique de la salariée en l’illustrant de plusieurs faits ayant entraîné, selon elle, une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, de sorte que l’employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par cette lettre, la salariée dénonçait des faits de harcèlement moral, la cour d’appel a pu retenir que le grief énoncé dans la lettre de licenciement était pris de la relation d’agissements de harcèlement moral. Dès lors, ayant estimé que la mauvaise foi de la salariée n’était pas démontrée, la Cour d’appel en a déduit à bon droit que le grief tiré de la relation par l’intéressée d’agissements de harcèlement moral emportait à lui seul la nullité du licenciement ».
Cet arrêt, dont la portée dépassera les situations de harcèlement pour s’appliquer également aux cas de harcèlement sexuel ou de discrimination abandonne donc l’exigence faite au salarié de qualifier de façon littérale les faits de « harcèlement moral » pour prétendre au bénéfice de l’immunité légale (I), et fait peser sur l’employeur la charge de cette qualification (II).
I – Elargissement de la protection légale du salarié par l’abandon de l’exigence de qualification des faits
Introduit par la loi du 17 janvier 2002, le harcèlement bénéficie aujourd’hui encore d’un traitement spécial dans le code du travail. En effet, la protection accordée au salarié dénonciateur va bien au-delà des dispositions relatives à la protection de la santé de ce dernier, en lui octroyant le bénéfice d’une réelle immunité légale (A).
Lorsque le salarié invoque une violation de la protection légale instaurée, notamment par la contestation d’une mesure prise à son encontre, c’est au juge qu’il appartient de préciser les critères de mise en œuvre de cette immunité. A ce titre, l’arrêt commenté opère un revirement, à tout le moins, fait évoluer la jurisprudence de la Cour de cassation, en élargissant la protection du salarié (B).
A / L’immunité légale accordée au salarié
Le Code du travail instaure une réelle protection des témoins et victimes de faits de harcèlement, en prohibant tous les actes qui pourraient venir enfreindre la dénonciation de tels faits.
L’article L.1153-3 du code du travail dispose : « Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l’objet d’une mesure discriminatoire pour avoir témoigné de faits de harcèlement sexuel ou pour les avoir relatés ».
D’autre part, selon l’article L.1152-2 du même code : « Aucune personne ayant subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou ayant, de bonne foi, relaté ou témoigné de tels agissements ne peut faire l’objet des mesures mentionnées à l’article L. 1121-2. Les personnes mentionnées au premier alinéa du présent article bénéficient des protections prévues aux I et III de l’article 10-1 et aux articles 12 à 13-1 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique ».
Concrètement, aucun salarié ne peut être licencié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, de sorte que le licenciement prononcé sur ce fondement encourt la nullité.
Ainsi, lorsqu’un salarié conteste devant les juridictions prud’homales son licenciement en faisant grief à l’employeur de le licencier pour avoir dénoncé des faits de harcèlement, il appartient aux juges de préciser les circonstances dans lesquelles la protection du salarié s’applique. Ainsi, avant de rechercher la bonne ou mauvaise foi du salarié, les juges ont été amenés à préciser dans quel cadre il convient de considérer que le salarié bénéficie de l’immunité légale.
Jusqu’à l’arrêt du 19 avril 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation imposait au salarié d’avoir qualifié lui-même les faits de « harcèlement moral » pour pouvoir prétendre au bénéficie de la protection légale, et donc solliciter la nullité du licenciement fondé sur la dénonciation de ces mêmes faits. Autrement dit, si dans le cadre de sa dénonciation, le salarié n’employait pas le syntagme « harcèlement moral », le régime protecteur du droit du travail était écarté. Cette exigence rédactionnelle avait donc une forte incidence juridique.
Si la Cour de cassation avait une appréciation clémente de cette exigence, en témoigne l’arrêt du 15 février 2023 (pourvoi n° 21-20811) aux termes duquel la chambre sociale avait isolé une phrase mentionnant que « certaines personnes au siège de l’entreprise se sentaient harcelées par le directeur administratif et financier », pour faire bénéficier le salarié du régime protecteur, c’est l’arrêt du 19 avril 2023, qui opère réellement un revirement.
B / L’élargissement jurisprudentiel de la protection du salarié
Dans son arrêt du 19 avril 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation juge désormais que « le salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, peu important qu’il n’ait pas qualifié lesdits faits de harcèlement moral lors de leur dénonciation, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce ».
Cette nouvelle position de la Cour de cassation vient répondre aux critiques dont faisait l’objet son ancienne jurisprudence, exigeant du dénonciateur qu’il emploie les termes de « harcèlement moral ». En effet, le salarié qui ignorait cette exigence terminologique se voyait exclu du régime protecteur, alors même que les faits pouvaient être confirmés. Au contraire, le salarié, qui dans le cadre de sa dénonciation avait qualifié les faits de « harcèlement moral », se voyait protégé contre le licenciement (sauf mauvaise foi) même si les faits rapportés étaient, in fine, non avérés.
Ainsi, la Cour de cassation met fin à ce formalisme pour faciliter la mise en œuvre, en faveur du salarié, du régime légal protecteur.
A la lecture du rapport relatif à l’arrêt commenté, la Cour de cassation justifie sa décision sur la base de deux éléments.
Premièrement, elle expose que dès lors que l’employeur a la faculté d’invoquer devant le juge, sans qu’il soit tenu de l’avoir fait au préalable dans la lettre de licenciement, la mauvaise foi du salarié pour avoir dénoncé des faits de harcèlement moral, le principe d’égalité des armes conduit à permettre au salarié de pouvoir, lui aussi, se prévaloir de la protection contre le licenciement devant le juge, et ce, même s’il n’a pas lui-même utilisé le syntagme « harcèlement moral » pour qualifier les faits dénoncés.
Deuxièmement, la chambre sociale fait le parallèle avec la protection accordée au salarié au titre de sa liberté d’expression.
Aux termes de son arrêt, la Cour de cassation vise l’article L.1121-1 du code du travail et l’article 10§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour rappeler que le licenciement d’un salarié pour un motif tiré de l’exercice non abusif de sa liberté d’expression est nul. C’est ainsi par cohérence avec le régime de la liberté d’expression que la Cour de cassation aligne sa jurisprudence en matière de dénonciation de faits de harcèlement.
Il appartient donc aux juges d’apprécier si les faits dénoncés sont susceptibles de caractériser une situation de harcèlement moral pour, le cas échéant, faire application des dispositions des articles L.1152-1 et suivants du Code du travail.
II – Transposition de la charge de la qualification des faits sur l’employeur
Si cette nouvelle position jurisprudentielle répond aux critiques de l’arrêt de 2017 en élargissant la protection des salariés, elle soulève la question des obligations de l’employeur en cas de dénonciation de faits qualifiés ou non de harcèlement par le salarié plaignant.
Concrètement, l’employeur ne pourra plus se retrancher derrière la circonstance que le salarié n’a pas qualifié la situation de « harcèlement moral ». L’abandon de l’exigence de qualification des faits de harcèlement par le salarié oblige l’employeur à redoubler de vigilance quant aux situations problématiques alléguées.
Afin de se conformer à ses obligations légales en matière de préservation de la santé des salariés et d’anticiper sa défense contentieuse il appartiendra à l’employeur d’apprécier le caractère évident de la dénonciation des faits de harcèlement (A), et, le cas échéant, de qualifier la mauvaise foi du salarié (B).
A / Sur l’appréciation du caractère évident de la dénonciation de harcèlement
Il résulte de l’arrêt commenté que la protection du salarié ne s’applique que si l’employeur ne pouvait légitimement ignorer, à la lecture de l’écrit adressé par le salarié ayant motivé son licenciement, que ce dernier dénonçait bien des faits de harcèlement.
Autrement dit, dans le cadre de leur contrôle, les juges du fond s’attacheront à vérifier le caractère évident de la dénonciation bien que le salarié n’ait pas lui-même qualifié les faits de « harcèlement ». Se pose alors la question des critères qui doivent permettre à l’employeur de retenir une telle qualification.
La définition légale du harcèlement moral et posée par l’article L1152-1 du code du travail selon lequel « aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ». Nous rappellerons que les manifestations du harcèlement moral sont plurielles, compte tenu de l’imprécision de la définition légale. Aussi, bien que la Cour de cassation considère qu’une répétition d’agissements, de même nature ou de nature différente, soit nécessaire, elle ne pose aucune condition de durée.
En l’espèce, aux termes de l’arrêt du 13 avril 2023, la Cour de cassation énonce : « ayant constaté que la lettre de licenciement reprochait à la salariée d’avoir adressé aux membres du conseil d’administration de l’association une lettre pour dénoncer le comportement du supérieur hiérarchique de la salariée en l’illustrant de plusieurs faits ayant entraîné, selon elle, une dégradation de ses conditions de travail et de son état de santé, de sorte que l’employeur ne pouvait légitimement ignorer que, par cette lettre, la salariée dénonçait des faits de harcèlement moral, la cour d’appel a pu retenir que le grief énoncé dans la lettre de licenciement était pris de la relation d’agissements de harcèlement moral ».
Il convient de faire lecture des termes de l’arrêt rendu par la Cour d’appel pour se rendre compte des éléments qui auraient dû permettre à l’employeur de considérer qu’il s’agissait d’une dénonciation de fait de harcèlement moral.
Parmi les multiples griefs invoqués par la salariée dans son courrier, la Cour d’appel en retient deux qui, pris dans leur ensemble, font présumer l’existence d’un harcèlement moral :
la suppression des réunions, dans la mesure où le contrat de travail de la salariée incluait au nombre de ses fonctions la charge de la régulation des équipes éducatives et la participation aux réunions cadres l’absence de proposition d’un poste de psychologue créé par l’association employeur dans le cadre du projet de PEAD (placement éducatif à domicile). La Cour d’appel considère que l’employeur ne pouvait ignorer ses obligations vis-à-vis de sa salariée à temps partiel et que son argumentation tendant à dire que la salariée voulait reprendre son temps partiel auprès d’une autre structure n’est pas crédible, eu égard à son investissement dans le cadre de cette expérimentation.
Enfin, pour qualifier la situation de harcèlement, la Cour d’appel retient également que ces faits sont à l’origine d’une dégradation de ses conditions de travail. C’est bien cet élément qui permet de déterminer le harcèlement moral, conformément à l’article L1152-1 du code du travail précité. Sur ce point, il convient de préciser que la Cour de cassation a pu considérer que la simple dégradation des conditions de travail suffisait à caractériser le délit de harcèlement moral peu important l’existence ou non d’un certificat médical attestant d’une altération de l’état de santé du salarié.
Il sera utilement renvoyé aux éléments constitutifs d’une situation de harcèlement, lesquels appréciés dans leur ensemble, établissent une présomption d’imputabilité. Ainsi et rappelant qu’il appartient à l’employeur de justifier du motif du licenciement, il y a sur ce principe, un renversement de la charge de la preuve bien que le salarié soit demandeur. Dès lors qu’il reviendra à l’employeur de démontrer la mauvaise foi du requérant quant à la dénonciation en cause.
B / Sur la preuve de la mauvaise foi du salarié
Si cet arrêt étend la protection du salarié, la Cour de cassation rappelle que l’employeur peut faire tomber l’immunité acquise au salarié qui dénonce des faits de harcèlement moral en rapportant la preuve de sa mauvaise foi.
A bien des égards, la preuve de la mauvaise foi pouvait être difficile à cerner. La Cour de cassation en a précisé les contours dès 2010 en retenant que « le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis » (pourvoi n° 08-44.446). Puis, en 2012, la chambre sociale est allée plus loin en faisant directement référence au mensonge « constatant que la salariée avait dénoncé de façon mensongère des faits inexistants de harcèlement moral dans le but de déstabiliser l’entreprise et de se débarrasser du cadre responsable du département comptable, la cour d’appel, caractérisant la mauvaise foi de la salariée au moment de la dénonciation des faits de harcèlement, a pu par ce seul motif décider que ces agissements rendaient impossible son maintien dans l’entreprise et constituaient une faute grave » (pourvoi n° 10-28345).
La Cour de cassation a depuis eu l’occasion de confirmer sa jurisprudence selon laquelle, la mauvaise foi ne peut résulter que de la connaissance par le salarié de la fausseté des faits qu’il dénonce. Il y a donc là, une distinction majeure entre le cas du mensonge, qui permet de qualifier la mauvaise foi, et l’erreur sur la qualification des faits qui ne saurait être reprochée au salarié.
Dans le cadre de la stratégie de défense de l’employeur, nous rappellerons utilement qu’informé de faits susceptibles de caractériser une situation de harcèlement, l’employeur, s’il ne diligente pas une enquête aux fins d’établir leur matérialité, conformément à son obligation de sécurité de résultat risque de s’exposer, dans le contentieux initié en contestation du licenciement à également devoir répondre de ce manquement.
En effet, comment démontrer la mauvaise foi du requérant quant à la dénonciation des faits, si la matérialité de ceux-ci n’est pas clairement remise en cause. La mauvaise foi est établie du fait de l’élément intentionnel, en ce sens que les propos ont été tenus à dessin. Or, si les faits étaient avérés, ce seul examen suffirait à annihiler les accusations de dénonciation mensongères.
Ainsi et confronté à une dénonciation, l’employeur devra initier une enquête interne. Selon les conclusions de celle-ci mais également des informations portées à la connaissance du salarié, voire de la récurrence des propos, il appartiendra à l’employeur d’initier une procédure disciplinaire à son encontre, seulement en possession de la preuve de la mauvaise foi.
Soc., 19 avril 2023, n°21-21053.
Risque hygiène sécurité
Accident mortel : nouvelle obligation pour l’employeur
Le décret n° 2023-452 du 9 juin 2023 relatif aux obligations incombant aux entreprises en matière d’accident de travail et d’affichage sur un chantier impose aux employeurs d’informer l’inspection du travail en cas d’accident mortel sur un chantier. Cette information doit se faire dans un délai maximal de 12 heures.
Pour rappel, en matière d’accident du travail, l’employeur a l’obligation de formaliser une déclaration sous 48 heures.
Par ce décret, le Ministère du Travail vient renforcer le rôle de l’inspection du travail dans la survenance d’un accident du travail mortel considérant que les constats trop tardifs peuvent rendre difficile la manifestation de la vérité et nuire aux procédures mises en œuvre.
Il appartient donc à l’employeur d’informer l’inspection le plus rapidement possible et au maximum sous un délai de 12 heures, par tout moyen permettant de conférer date certaine, en communiquant les éléments suivants :
Le nom ou la raison sociale ainsi que les adresses postale et électronique, les coordonnées téléphoniques de l’entreprise ou de l’établissement qui emploie le travailleur au moment de l’accident ;
Le cas échéant, le nom ou la raison sociale ainsi que les adresses postale et électronique, les coordonnées téléphoniques de l’entreprise ou de l’établissement dans lequel l’accident s’est produit si celui-ci est différent de l’entreprise ou établissement employeur ;
- Les noms, prénoms, date de naissance de la victime ;
- Les date, heure, lieu et circonstances de l’accident ;
- L’identité et les coordonnées des témoins, le cas échéant.
Le décret précise également que le non-respect de ces obligations est passible d’une amende de 5ème classe soit 7 500 euros pour les personnes morales, porté à 15 000 euros en cas de récidive.
Vers une confirmation de la sacralisation de l’avis du médecin conseil de la caisse primaire en matière de date de 1ère constatation : ce qui est sacré ne peut être contrôlé
Dans cette affaire, l’employeur reprochait à la caisse primaire de n’avoir pas porté à sa connaissance l’élément (en l’occurrence, un arrêt de travail) ayant permis au médecin conseil de cet organisme de déterminer une date de 1ère constatation différente de celle mentionnée dans le certificat médical initial.
La cour d’appel a donné raison à l’employeur en considérant que la Cpam ne pouvait refuser la communication de l’arrêt de travail ayant permis au médecin conseil de fixer la date de 1ère constatation puisque le plaçant dans l’impossibilité de vérifier que la date fixée était bien celle de la première constatation. La Cour estimait que la mention d’un arrêt de travail ayant permis la fixation d’une telle date sur le colloque médico-administratif étant insuffisante.
Au visa des articles L. 461-1, L. 461-2 et D. 461-1-1 du code de la sécurité sociale, la Cour de cassation a rappelé que « la première constatation médicale de la maladie professionnelle exigée au cours du délai de prise en charge écoulé depuis la fin de l’exposition au risque concerne toute manifestation de nature à révéler l’existence de cette maladie, que la date de la première constatation médicale est celle à laquelle les premières manifestations de la maladie ont été constatées par un médecin avant même que le diagnostic ne soit établi et qu’elle est fixée par le médecin-conseil ».
Elle rappelle ainsi que le médecin conseil dispose d’un pouvoir d’appréciation quant à la fixation de la date de 1ère constatation et que la Cpam n’a aucune obligation de communiquer à l’employeur l’élément ayant permis à son médecin conseil de déterminer une date de 1ère constatation différente de celle qui aurait pu être mentionner dans les certificats du médecin de la victime.
Civ., 2ème, 11 mai 2023, n° 21-17788.
Concomitance entre l’autorisation de licenciement et la tentative de suicide du salarié : accident du travail ou pas
Un salarié qui faisait l’objet d’une procédure disciplinaire pour laquelle l’employeur avait, la veille, obtenue une autorisation de licenciement, a tenté de se suicider.
Il s’agissait de savoir si les critères de la présomption d’imputabilité trouvaient à s’appliquer. En l’espèce, si le salarié avait tenté de se suicider en ingérant des médicaments sur le lieu de travail, la Caisse, pour refuser de prendre en charge ce sinistre, estimait qu’il n’est pas survenu pendant le temps de travail de sorte que l’intéressé ne se trouvait pas sous l’autorité de l’employeur.
Si les conditions d’application de la présomption d’imputabilité ne sont pas réunies, restait à déterminer si le sinistre était survenu par le fait ou à l’occasion du travail comme le soutenait le salarié ou si, au contraire, il procédait d’une faute intentionnelle de ce dernier comme le prétendait la Caisse.
Sur ce point, et pour écarter le caractère professionnel de la tentative de suicide de la victime, la Cour d’appel retient que si les certificats médicaux ainsi que les déclarations de l’intéressé sont de nature à mettre en évidence un état dépressif préexistant depuis plusieurs semaines, il n’en demeure pas moins que les faits d’ingestion médicamenteuse volontaire en question n’apparaissent pas procéder de cette pathologie mais de l’imminence du licenciement pour faute grave, puisqu’il est donc établi que l’intéressé a appris la veille que l’autorisation administrative de licenciement avait été accordée à la suite d’un recours de l’employeur, autorisation à laquelle l’intéressé ne s’attendait pas.
Les juges du fond estiment donc que la tentative de suicide procède d’une intention démonstratrice du salarié dès lors que son geste est expliqué par la volonté de dénoncer l’injustice dont il était victime.
C’est sur ce point, que l’arrêt est cassé par la Cour de cassation. Autrement dit, l’imminence du licenciement devait permettre de retenir que l’accident était survenu par le fait du travail.
Civ., 2ème, 1er juin 2023, n° 21-17804.
Sur la saisine du CRRMP par les juridictions du fond lorsque les victimes en font la demande dans le cadre d’une action en faute inexcusable
Un ancien salarié des Houllières du bassin de Lorraine de 1984 à 1992, aux droits de laquelle vient l’Agent judiciaire de l’État a été atteint en 2001 d’un carcinome du nasopharynx. Il est décédé des suites de sa maladie, le 21 septembre 2003.
Sa veuve a déclaré en 2012 une maladie professionnelle inscrite au tableau n° 43 bis avec à l’appui un certificat médical du Docteur Y du 5 mars 2012, faisant état d’un carcinome du nasopharynx avec extension métastasique.
Le 13 septembre 2012, la CPAM de Moselle a reconnu le caractère professionnel de la maladie, carcinome du nasopharynx inscrite dans le tableau n° 43 Bis : affections cancéreuses provoquées par l’aldéhyde formique, au titre de la législation sur les risques professionnels.
Les ayants droit ont engagé une action en faute inexcusable à l’encontre de l’Agent judiciaire de l’État laquelle a été rejetée par le Tribunal Judiciaire et la Cour d’appel, au motif notamment que la maladie ne pouvait être d’origine professionnelle dans la mesure où l’exposition n’était pas « certaine et régulière ». Dans ces conditions, la faute inexcusable avait être rejetée.
Il faut préciser que la saisine du CRRMP avait été demandée par les ayants droit en indiquant que « si la cour devait estimer que toutes les conditions de ce tableau ne sont pas réunies et considérer qu’il y a absence de respect de la durée d’exposition et de la liste limitative des travaux visée au tableau n° 43 bis, il appartient à la juridiction de saisir un CRRMP pour avis sur le lien direct entre son activité professionnelle au sein des HBL et le carcinome du naso-pharynx dont il est décédé » (Cour d’appel de Metz Chambre sociale-section 3, 22 novembre 2021, n° 20/00263).
Un pourvoi a été formé par les ayants droit ; la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt. Aussi, la Haute Juridiction a considéré que la Cour d’appel devait avant de se prononcer sur l’origine professionnelle de la maladie saisir un Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles afin de savoir s’il existait un lien entre la pathologie et les conditions du travail.
Ainsi, la Cour de cassation énonce : « En statuant ainsi, sans recueillir l’avis d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles, la cour d’appel, devant laquelle était demandé le bénéfice de la reconnaissance individuelle du caractère professionnel de la maladie au sens du troisième alinéa de l’article L. 461-1 du code de la sécurité sociale, a violé les textes susvisés ».
Ainsi, même si le demandeur au procès ne démontre pas que son affection ne peut bénéficier de la présomption d’imputabilité instaurée par le code de la sécurité sociale, (ou encore que le défendeur démontre que la maladie ne répondait pas aux critères de l’affection répertoriée au tableau en cause) sa demande ne sera pas pour autant rejetée puisqu’il disposera toujours de la possibilité de faire saisir par le juge un CRRMP afin que ce comité se prononce sur un lien de causalité entre la maladie et les conditions du travail.
Civ., 2ème, 1er juin 2023, n° 22-10882.
Une leucémie aiguë myéloïde constitue-t-elle un syndrome myéloprolifératif inscrit au tableau 4 des maladies professionnelles ?
Il s’agit là de la question posée aux juges du fond dans une affaire que le Cabinet a eu à connaitre.
Dans ce dossier, un salarié d’une société de distributeur multi-énergies, en qualité de chauffeur-livreur, a déclaré une leucémie aigüe myéloïde, sur la base d’un certificat médical initial du même jour faisant état d’une « myélodysplasie acutisée en leucémie aigüe myéloïde ».
La caisse primaire d’assurance maladie a pris en charge cette maladie au titre du tableau n°4 des maladies professionnelles comme étant un syndrome myéloprolifératif.
Selon l’ensemble de la littérature médicale, les syndromes myéloprolifératifs sont des maladies tumorales de la moelle osseuse caractérisées par une production anormale, d’allure cancéreuse, de certains types de cellules sanguines dans la moelle osseuse. La catégorie désigne ainsi quatre pathologies : la leucémie myéloïde chronique, la maladie de Vaquez, la splénomégalie myéloïde, la thrombocytémie primitive.
Devant les juridictions du fond, l’employeur soutenait, à l’appui d’une note de l’INRS, que la pathologie du salarié n’étant pas chronique mais aiguë, elle n’était pas désignée par le tableau n°4 A et la prise en charge ne pouvait intervenir sur ce fondement.
Il relevait également que le tableau n°4 A présente une spécificité dans la mesure où ledit tableau précise que « pour le détail des syndromes myélodysplasiques et myéloprolifératifs, il convient de se référer à la classification en vigueur des tumeurs des tissus hématopoïétiques et lymphoïdes de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ».
Aussi, l’OMS indique, dans la classification des maladies CIM-10, applicable depuis le 1 er janvier 1993, qu’à la suite des « syndromes myélodysplasiques » (code D46), les « autres tumeurs des tissus lymphoïde, hématopoïétique et apparentés à évolution imprévisible ou inconnue » (code D47) comprennent : les tumeurs à histiocytes et mastocytes à évolution imprévisible et inconnue, la maladie myéloproliférative chronique (à l’exclusion de la leucémie myéloïde chronique), la gammapathie monoclonale de signification indéterminée, la thrombocytémie essentielle (hémorragique), l’ostéomyélofibrose, la leucémie chronique à éosinophiles [syndrome hyperéosinophilique], les autres tumeurs précisées des tissus lymphoïde, hématopoïétique et apparentés à évolution imprévisible ou inconnue, et la tumeur des tissus lymphoïde, hématopoïétique et apparentés à évolution imprévisible ou inconnue, sans précision.
Il paraissait donc évident que la leucémie aigüe myéloïde du salarié ne pouvait être considérée comme un syndrome myéloprolifératif du tableau 4. Toutefois, les juridictions du fond ont rejeté les arguments de l’employeur en faisant d’ailleurs peser sur l’employeur la charge de la preuve concernant la désignation de la maladie professionnelle.
Dans son arrêt du 1er juin 2023, la Cour de cassation a ainsi considéré qu’ « en se déterminant ainsi, sans vérifier que la caisse établissait que la pathologie déclarée par la victime correspondait aux syndromes myéloprolifératifs visés par le tableau n 4 des maladies professionnelles, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ».
L’arrêt de la Cour d’appel a été cassé et annulé et renvoyé devant une autre Cour d’appel de renvoi. Il restera ainsi à savoir si pour cette juridiction de renvoi, une leucémie aiguë myéloïde constitue un syndrome myéloprolifératif inscrit au tableau 4 des maladies professionnelles.
Civ., 2ème, 1er juin 2023, n° 22-13177.
Risque contentieux social
Compétence du Conseil prud’homal pour indemniser le salarié protégé licencié pour inaptitude à la suite d’un accident du travail
Dans cette affaire, une salariée bénéficiant d’une protection en tant que candidate aux élections professionnelles avait été licenciée pour inaptitude et impossibilité de reclassement, après autorisation de l’inspection du travail.
La question qui se posait était de savoir si le fait que le licenciement ait fait l’objet d’une autorisation privait la salariée de son droit de contester l’origine de l’inaptitude et de solliciter les indemnités afférentes.
En l’espèce, invoquant le fait que son inaptitude était consécutive à un accident du travail, et faisant grief à son employeur d’avoir manqué à son obligation de sécurité, la salariée sollicitait devant le Conseil de Prud’hommes des indemnités spéciales de licenciement pour inaptitude professionnelle et des indemnités au titre de la perte injustifiée de son emploi.
Par deux arrêts de 2013, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat ont jugé que l’autorisation de licenciement délivrée par l’inspection du travail n’empêchait pas le salarié de contester son licenciement en invoquant notamment un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité. (CE, 20 novembre 2013, n° 340591, et Soc., 27 novembre 2013, n° 12-20301).
Dans cette nouvelle affaire, la Cour de cassation confirme l’appréciation des juges du fond lesquels ont alloué à la salariée une indemnité réparant la perte injustifiée de son emploi ainsi que les indemnités spéciales, considérant que l’inaptitude était consécutive à un accident du travail.
Soc., 13 avril 2023, n° 22-10758.
Point de départ du délai de prescription de l’action en réparation du harcèlement moral
Selon les dispositions du Code du travail, l’action en réparation du harcèlement moral est soumise à une prescription quinquennale. Par un arrêt du 9 juin 2021 (n°19-21931), la Cour de cassation avait précisé que le délai de prescription commençait à courir, pour chacun des actes constitutifs de l’infraction, à compter du dernier acte commis.
Dans cette affaire, une salariée avait été licenciée le 16 juillet 2008 avec trois mois de préavis. Ce n’est que le 16 septembre 2013 qu’elle avait saisi la juridiction prud’homale alléguant avoir été victime de harcèlement moral.
L’employeur estimait que l’action de la salariée était irrecevable pour cause de prescription. Cet argument était écarté par la Cour d’appel qui, pour juger l’action recevable, retenait que le point de départ du délai de prescription était la date du dernier fait de harcèlement allégué par la salariée, à savoir un courrier de l’employeur daté du 16 octobre 2008, soit le dernier jour du préavis conventionnel.
La Cour de cassation n’hésite pas à censurer le raisonnement des juges du fond et précise que « d’une part, est susceptible de caractériser un agissement de harcèlement moral un fait dont le salarié a connaissance, d’autre part, le point de départ du délai de prescription de l’action en réparation du harcèlement moral ne peut être postérieur à la date de cessation du contrat de travail ».
Autrement dit, il appartenait aux juges du fond de vérifier à quelle date la salariée avait pris connaissance de la lettre de l’employeur datée du 16 octobre 2008, date du dernier jour du préavis.
La Cour de cassation renvoi l’affaire devant une autre Cour d’appel, laquelle sera chargée de vérifier si la date à laquelle la salariée a eu connaissance de la lettre du 16 octobre 2008 est postérieure au dernier jour du préavis. Dans cette hypothèse, cette lettre ne saurait être considérée comme le dernier acte de harcèlement moral et donc ne constituerait pas le point de départ du délai de prescription quinquennal.
Soc., 19 avril 2023, n°21-24051.
Témoignages anonymisés et liberté de la preuve
Dans cette affaire, un salarié demandait l’annulation de sa mise à pied disciplinaire devant un Conseil de Prud’hommes. Pour justifier des faits reprochés au salarié l’employeur produisait une attestation anonymisée d’un autre salarié ainsi que le compte-rendu, également anonymisé, de l’entretien de ce dernier avec un membre de la direction des ressources humaines.
La Cour d’appel a écarté ces pièces considérant qu’elles n’avaient aucune valeur probante en raison du fait qu’elles ne permettaient pas au salarié de se défendre d’accusations anonymes.
La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de juger que le juge prud’homal ne peut se fonder uniquement, ni même de manière déterminante, sur des témoignages anonymes pour se prononcer sur le bien-fondé d’un licenciement disciplinaire.
En l’espèce, sur pourvoi de l’employeur, lequel invoquait le principe de liberté de la preuve, la Cour de cassation était amenée à se prononcer sur la recevabilité de témoignages qui, s’ils n’étaient pas anonymes, avaient été anonymisés.
La Haute juridiction sanctionne la décision d’appel considérant que le juge peut prendre en compte, des témoignages anonymisés, c’est-à-dire rendus anonymes a posteriori afin de protéger leurs auteurs mais dont l’identité est néanmoins connue par l’employeur, lorsque ceux-ci sont corroborés par d’autres éléments permettant d’en analyser la crédibilité et la pertinence.
Il appartenait aux juges du fond d’analyser la portée du témoignage et du compte rendu anonymisés par rapport à l’ensemble des autres pièces produites par l’employeur, pour caractériser la faute du salarié.
Soc., 19 avril 2023, n° 21-20308.
Précisions sur les conditions d’un cumul irrégulier d’emplois
Dans cette affaire, un salaire avait rempli, avec son employeur, une attestation de double emploi après que ce dernier ait eu connaissance du cumul. Toutefois, considérant que le salarié cumulait de façon irrégulière deux emplois, l’un de ses employeurs, informé tardivement dudit cumul, décidait de procéder à son licenciement pour faute grave.
Le salarié saisissait la juridiction prud’homale puis la Cour d’appel qui le débouta de sa demande tendant à voir requalifier le licenciement pour faute grave en licenciement sans cause réelle et sérieuse considérant que le cumul s’avérait irrégulier.
Le salarié formait alors un pourvoi devant la Haute juridiction fondant son argumentation sur le fait que, pour justifier un licenciement, le cumul d’emplois doit être irrégulier au moment précis où l’employeur notifie la rupture du contrat de travail. Il précisait, en outre, que l’irrégularité ne peut entrainer une sanction disciplinaire que dans le cas où le cumul donnerait lieu à un dépassement de la durée maximale de travail.
Se fondant sur l’attestation de cumul d’emplois signée postérieurement avec son employeur, le salarié considérait donc que la rupture du contrat de travail était abusive.
La Cour de cassation rappelle que le salarié peut cumuler plusieurs emplois à condition d’une part de respecter son obligation de loyauté (ne pas exercer une activité concurrente) et d’autre part respecter les durées maximales quotidiennes et hebdomadaires de travail.
La Cour précise que lorsque le cumul d’emplois concerne deux activités concurrentes, alors l’irrégularité du cumul suffit pour licencier le salarié. La raison est que le manquement du salarié à son obligation de loyauté constitue une faute.
Dans l’hypothèse d’un cumul irrégulier à l’égard des durées maximales de travail, l’atteinte à celles-ci n’est pas constitutive en elle-même d’une faute. Pour caractériser une faute et justifier un licenciement, l’employeur doit rapporter la preuve que le salarié a refusé de lui transmettre les éléments lui permettant de vérifier l’absence d’atteinte aux durées maximales de travail.
Soc., 19 avril 2023, n°21-24238.
Validité de l’inaptitude constatée par le médecin du travail au cours de l’arrêt de travail du salarié
En vertu de l’article L. 4624-4 du code du travail, après avoir procédé ou fait procéder par un membre de l’équipe pluridisciplinaire à une étude de poste et après avoir échangé avec le salarié et l’employeur, le médecin du travail qui constate qu’aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail occupé n’est possible et que l’état de santé du travailleur justifie un changement de poste déclare le travailleur inapte à son poste de travail.
L’article R. 4624-34 du même code, dans sa rédaction issue du décret n° 2016-1908 du 27 décembre 2016, dispose qu’indépendamment des examens d’aptitude à l’embauche et périodiques ainsi que des visites d’information et de prévention, le travailleur bénéficie, à sa demande ou à celle de l’employeur, d’un examen par le médecin du travail et que le travailleur peut solliciter notamment une visite médicale, lorsqu’il anticipe un risque d’inaptitude, dans l’objectif d’engager une démarche de maintien en emploi et de bénéficier d’un accompagnement personnalisé.
Dans cette affaire, un salarié avait été placé en arrêt maladie, et avait pendant cette période, sollicité un examen médical auprès du médecin du travail. Lors de cet examen, ce dernier l’avait déclaré inapte à son poste avec impossibilité de reclassement après avoir effectué une étude de poste et des conditions de travail, réalisé un échange avec l’employeur et procédé à la vérification de la dernière actualisation de la fiche d’entreprise.
La Cour d’appel de Metz avait considéré que le licenciement pour inaptitude intervenu à la suite de cet avis était fondé sur une cause réelle et sérieuse et avait débouté le salarié de ses demandes.
Considérant que le médecin du travail ne pouvait pas constater l’inaptitude du salarié à son poste pendant la suspension de son contrat de travail en raison d’un arrêt de travail pour maladie, le salarié formait un pourvoi en cassation.
La Cour de cassation a validé le raisonnement de la Cour d’appel et ainsi considéré que le médecin du travail peut constater l’inaptitude d’un salarié à son poste de travail à l’issue d’une visite médicale, demandée par celui-ci, y compris pendant la suspension de son contrat de travail en raison d’un arrêt de travail pour maladie.
Soc., 24 mai 2023, n°22-10517.
Discrimination syndicale : de la possibilité de se voir communiquer les bulletins de paie nominatifs
En matière de discrimination, le régime de preuve est spécifique et nécessite que le salarié présente des éléments de faits laissant supposer l’existence d’une discrimination. Au regard de ces éléments, il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination et matériellement vérifiables (article L. 1134-1 du Code du travail).
Dans cette affaire, 31 salariés exerçant des mandats de représentants du personnel ont saisi la formation des référés de la juridiction prud’homale pour obtenir les informations permettant l’évaluation utile de leur situation au regard de celle des autres salariés placés dans une situation comparable, considérant notamment faire l’objet d’une discrimination en raison de leurs activités syndicales.
La Cour d’appel de Chambéry faisait droit à leur demande relevant une évolution de carrière très lente avec une quasi absence d’évolution des salaires et des coefficients chez ces salariés, que le tableau issu de la négociation annuelle obligatoire (NAO) démontrait que les salaires de ces salariés se trouvaient tout juste dans la moyenne des salaires des salariés classés dans la même catégorie, que l’employeur est le seul à détenir les éléments de rémunération nécessaires à ce que les salariés fassent valoir leurs droits et, enfin, que la demande des salariés repose sur un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution du litige.
La Cour d’appel autorise ainsi la communication :
- Des informations précises sur les collègues de travail, dont la situation peut être comparée, en termes d’ancienneté, d’âge, de qualification, de diplôme, de classification, quelle que soit la variété du contrat de travail, dès lors que la comparaison doit pouvoir s’effectuer sur des postes semblables ou comparables réclamant la même qualification ;
- Des noms et les prénoms de ces collègues ;
- Des bulletins de salaire avec les indications y figurant ;
- Un tableau récapitulatif établi à partir des éléments ainsi communiqués par l’employeur, dès lors que la demande relative à la communication de ce tableau porte sur le panel de comparaison.
L’employeur formait alors un pourvoi considérant notamment que les conditions tenant au référé n’étaient pas remplies précisant que la juridiction ne constatait pas que les éléments de fait étaient de nature à caractériser l’existence d’un litige potentiel entre les parties.
Sur le fondement du Règlement européen n°2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation des données (RGPD), des dispositions de l’article 145 du Code de procédure civile, des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, de article 9 du Code civil et enfin de l’article 9 du Code de procédure civile, la Haute juridiction valide le raisonnement de la Cour d’appel de Chambéry.
La Cour de cassation affirme que dès lors qu’il est saisi d’une demande de communication de pièces sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile, il appartient au juge de rechercher :
- Si cette communication est nécessaire à l’exercice du droit à la preuve de la discrimination syndicale alléguée et proportionnée au but poursuivi ;
- S’il existe ainsi un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige.
Le juge doit ensuite rechercher si les éléments dont la communication est demandée sont de nature à porter atteinte à la vie personnelle d’autres salariés, de vérifier quelles mesures sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve et proportionnées au but poursuivi, au besoin en cantonnant le périmètre de la production des pièces sollicitées.
Soc., 1er juin 2023, n°21-24238.
Les objectifs variables du salarié doivent être rédigés en français pour lui être opposables
Dans cette affaire, un salarié recruté en sa qualité de responsable des ventes, puis licencié, a saisi la juridiction prud’homale de demandes relatives à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail.
Dans le cadre de ce contentieux, était notamment envisagé, le remboursement des sommes perçues par le salarié au titre d’objectifs qui lui avaient été fixés, l’occasion pour la Cour de cassation de rappeler les modalités de fixation des objectifs.
La Cour de cassation précise que pour rendre opposables des objectifs variables à un salarié, ces derniers doivent être rédigés en français et non dans une langue étrangère. Les objectifs qui seraient rédigés dans une autre langue ne sont pas opposables au salarié, quand bien même cette autre langue serait celle utilisée habituellement dans l’entreprise.
En effet, il résulte des dispositions de l’article L.1326-1 du Code du travail que « tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail doit être rédigé en français. Toutefois cette règle n’est pas applicable aux documents reçus de l’étranger ou destiné à des étrangers ».
La Cour d’appel de Toulouse, pour débouter le salarié, retenait notamment que « la langue de travail de l’entreprise était l’anglais et, d’ailleurs, les échanges de mails produits par les parties sont pour la plupart en anglais, y compris les documents de travail établis par le salarié ».
Or, faisant application des dispositions du Code du travail, sans rechercher si, en l’espèce, les documents avaient été reçus de l’étranger, la Cour d’appel a privé sa décision de base légale.
Dès lors, les objectifs formulés dans une autre langue ne sont pas applicables et non-opposable au salarié de sorte que la prime doit être versée au salarié sans que l’employeur puisse sanctionner le salarié de ne pas avoir respecté ses objectifs.
Soc., 7 juin 2023, n°21-20322.
Sur la compétence du Conseil de prud’hommes pour connaître de la réparation du préjudice subi par la mise en œuvre d’un pacte d’actionnaire
Dans cette affaire, une salariée a été embauchée en qualité de directrice adjointe en 2001, et promue en 2012 aux fonctions de directrice de l’affinitaire, membre du comité exécutif.
En 2009, la salariée a souscrit à l’émission 100 000 bons de souscriptions d’actions et saisit en 2015 le Conseil de prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat avant d’en prendre acte le 10 avril suivant. La même année le directeur général lui notifiait le rachat forcé de ses bons de souscription à un prix décoté.
La salariée a formé un pourvoi contre l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Paris le 22 septembre 2021. La salariée faisait grief à l’arrêt : de confirmer le jugement rendu en ce que le Conseil de prud’hommes s’est déclaré incompétent au profit du Tribunal de Commerce de Nanterre quant à la validité de la clause insérée dans le pacte d’actionnaire, de rejeter sa demande tendant à ce que soit jugée abusive et irrégulière la cessions de bons de souscription et de rejeter sa demande d’indemnisation du préjudice subi du fait de la cession.
La Cour de cassation casse et annule l’arrêt déféré et déclare le Conseil de Prud’hommes de Paris compétent au profit du Tribunal de Commerce de Nanterre pour statuer sur la demande de dommages et intérêts de la salariée au titre du préjudice subi en raison de la cession des actions.
Ainsi, si le Conseil de prud’hommes demeure incompétent pour statuer sur la validité d’un pacte d’actionnaires, il est compétent pour connaître de la demande de réparation du préjudice subi par un salarié au titre de la mise en œuvre dudit pacte, lequel prévoyait la cession immédiate des actions en cas de licenciement.
Soc., 7 juin 2023, n° 21-24514.
Déplacements professionnels et durée du travail
Dans cette affaire, un salarié a été recruté en sa qualité d’enquêteur mystère pendant plusieurs années avant de saisir la juridiction prud’homale de diverses demandes relatives à l’exécution de son contrat de travail.
Dans le cadre de ce contentieux, le salarié sollicitait notamment le versement d’un rappel de salaire, considérant que le temps de trajet effectué entre les différents hôtels et les concessions visitées, était du temps de travail effectif.
En l’espèce, le salarié ne visitait qu’une concession par jour.
Il résulte des dispositions de l’article L.3121-1 du Code du travail que la durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles.
Ainsi, la Cour d’appel d’Aix-En-Provence, donne raison au salarié et retient que doivent être assimilés à un temps de travail effectif, les temps de trajets effectués par le salarié entre deux lieux de travail successifs différents dans le cadre de déplacements prolongés sans retour au domicile, nécessités par l’organisation du travail selon des plannings d’interventions déterminés par l’employeur.
La Cour de cassation considère quant à elle, que pour qualifier ce temps en travail effectif, il était nécessaire de vérifier si les temps de trajets effectués par le salarié pour se rendre à l’hôtel pour y dormir, et en repartir, constituaient, non pas des temps de trajets entre deux lieux de travail, mais de simples déplacements professionnels non assimilés à du temps de travail effectif, et de caractériser que, pendant ces temps de déplacement en semaine, et en particulier pendant ses temps de trajets pour se rendre à l’hôtel afin d’y dormir, et en repartir, le salarié était tenu de se conformer aux directives de l’employeur sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles.
Soc., 7 juin 2023, n°21-22445.
Risque pénal
Travail dissimulé caractérisé en l’absence de remise du certificat A1
La personne morale qui contracte avec une entreprise établie ou domiciliée dans un autre Etat membre de l’Union européenne doit, dans tous les cas, se faire remettre par celle-ci le certificat A1 attestant de la régularité de la situation sociale du cocontractant au regard du règlement (CE) n° 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant coordination des systèmes de sécurité sociale pour chacun des travailleurs détachés auxquels elle a recours.
Commet sciemment le délit de recours aux services d’une personne exerçant un travail dissimulé celui qui ne vérifie pas la régularité de la situation de l’entreprise dont il utilise les services et, lorsqu’elle est établie dans un autre Etat membre de l’Union européenne, qu’elle est en mesure de fournir lesdits certificats pour tous les travailleurs détachés qu’elle met à disposition.
En l’espèce et antérieurement aux faits justifiant la poursuite, la société condamnée avait été alertée sur la nécessité d’obtenir lesdits certificats. Les juges du fond avaient pourtant prononcé la relaxe au motif que les articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du Code du travail, qui définissent le travail dissimulé, ne font à aucun moment référence à la production ou l’obtention du certificat A1.
Crim., 21 février 2023, n° 22-81903.
Accident mortel : invalidité de la délégation de pouvoirs et responsabilité de l’employeur
Un ouvrier est victime d’une chute mortelle sur un chantier. La Cour de cassation a considéré d’une part, qu’une simple visite en vue de la réalisation d’une opération de maintenance ne pouvait tenir lieu d’inspection commune préalable à l’élaboration d’un plan formel de prévention des risques, et d’autre part, que l’employeur ne pouvait s’exonérer de ses obligations en matière de sécurité au travail en l’absence d’une délégation de pouvoirs valide. Sur la délégation, la Chambre criminelle rappelle que « l’intéressé n’avait suivi aucune formation à ce titre depuis son embauche et, d’autre part, que les autorisations d’engagement de dépenses étaient validées par le directeur du site, lui-même titulaire d’une délégation de pouvoirs ».
Crim., 4 avril 2023, n° 21-81742.
Fondement contractuel des dommages et intérêts prud’homaux et irrecevabilité de l’indemnisation de la partie civile
La requérante avait obtenu la condamnation de son employeur à l’indemniser de son licenciement privé de cause réelle et sérieuse, ainsi qu’au règlement d’un rappel de salaire et les indemnités de rupture afférentes.
Dans l’intervalle de l’audiencement la société avait été placée liquidation et la requérante avait porté plainte et s’était constituée partie civile contre personne non dénommée, des chefs d’organisation frauduleuse d’insolvabilité et banqueroute par détournement d’actifs.
Pour la Chambre criminelle, la somme allouée au salarié par le juge du contrat de travail en réparation d’un harcèlement moral est une créance de nature contractuelle, ce qui l’exclut des condamnations visées par l’article 314-7 du code pénal.
En conséquence, la chambre confirme l’arrêt déféré et l’irrecevabilité d’une constitution de partie civile du chef d’organisation frauduleuse d’insolvabilité au motif que la sanction d’un tel manquement relève de la responsabilité contractuelle.
Crim., 5 avril 2023, n° 21-80478.
Véhicule de fonction : précision sur l’obligation de désignation du conducteur
S’agissant de la désignation du conducteur du véhicule appartenant à une personne morale en cas d’excès de vitesse, le gérant de la société avait désigné un collaborateur au motif qu’il était responsable de ce véhicule. Il ne pouvait pour autant pas démontrer si, au moment des faits, il en était réellement le conducteur.
La société était citée devant le tribunal de police pour non-transmission de l’identité et de l’adresse du conducteur du véhicule. Par un jugement du 19 novembre 2021, cette juridiction l’a relaxé. Le tribunal de police a en effet considéré que le représentant légal de la société avait fourni tous les éléments d’identité de la personne désignée, la circonstance que cette dernière ait contesté être le conducteur ne permettant pas de retenir, a posteriori, l’infraction à son encontre.
La relaxe est infirmée au motif que l’obligation de désignation prévue par l’article L. 121-6 du code de la route n’est remplie que si la désignation de la personne physique qui conduisait effectivement le véhicule au moment des faits repose sur des éléments probants.
Crim., 6 juin 2023, n° 22-87212.
Risque environnemental
Secret des affaires et accès aux informations environnementales
Dans cette affaire, la question était de savoir si le secret des affaires peut être opposé à une demande d’informations des émissions de substances dans l’environnement
Le Conseil d’Etat s’est prononcé le 15 mars 2023 jugeant que le secret des affaires ne peut pas être opposé à une demande de communication d’information relatives à des émissions de substances dans l’environnement effectives ou prévisibles, à l’exception des émissions purement hypothétiques.
Aux termes de sa décision le Conseil d’État rappelle que, selon les dispositions du code de l’environnement, une autorité publique peut rejeter la demande d’une information relative à l’environnement dont la consultation ou la communication porte atteinte, notamment, à la sécurité publique ou au secret des affaires, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles.
A l’inverse, si la demande concerne une information relative à des émissions de substances dans l’environnement, celle-ci ne peut être rejetée que si sa consultation ou sa communication porterait atteinte à l’un des intérêts énumérés par ces dispositions, au nombre desquels figure la sécurité publique, mais non le secret des affaires.
Conseil d’Etat., 15 mars 2023, n° 45-6871.
Devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité
La commission des affaires juridiques du Parlement européen a adopté, le 25 avril 2023, une proposition de texte qui étend les obligations des entreprises en matière de protection des droits de l’Homme et de l’environnement. Cette proposition intervient dans le cadre de la procédure d’adoption de la première directive européenne relative au devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité.
Pour rappel, en droit français, le devoir de vigilance concerne « toute société qui emploie, à la clôture de deux exercices consécutifs, au moins cinq mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français, ou au moins dix mille salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes dont le siège social est fixé sur le territoire français ou à l’étranger, établit et met en œuvre de manière effective un plan de vigilance. ».
La directive européenne devrait donc considérablement augmenter le champ des entreprises soumises au devoir de vigilance.
Selon la proposition de la commission des affaires juridiques, toutes les entreprises de plus de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires et de plus de 250 salariés seraient soumises à ces règles, indépendamment de leur secteur d’activité, tout comme les sociétés mères de plus de 500 salariés et de plus de 150 millions d’euros de chiffre d’affaires.
Concernant les entreprises non européenne, la Commission des affaires juridiques propose d’appliquer ces règles à toutes celles dont le chiffre d’affaires est supérieur à 150 millions d’euros si au moins 40 millions d’euros ont été générés dans l’Union européenne, quelque soit leur secteur d’activité.
En synthèse, le texte prévoit plusieurs séries d’obligations à la charge des entreprises :
- Intégrer le devoir de vigilance dans leurs politiques, notamment via la rédaction et l’application d’un Code de conduite interne à l’entreprise ;
- Recenser les incidences négatives réelles ou potentielles de leurs activités ;
- Prévenir et atténuer les incidences négatives potentielles, notamment via la mise en œuvre de « plans d’actions » (comme le prévoit également la législation française en matière de vigilance) ;
- Mettre un terme aux incidences négatives réelles et en atténuer l’ampleur, ce qui pourra impliquer de payer des dommages et intérêts aux victimes des atteintes aux droits de l’homme et à l’environnement et de mettre en place des garanties contractuelles avec leurs partenaires ;
- Établir et maintenir une procédure relative aux plaintes ;
- Contrôler l’efficacité de leurs mesures de vigilance ;
- Communiquer publiquement sur le devoir de vigilance sur leur site internet.
Pour aller plus loin, les députés ont proposé que les partenaires soient également évalués, c’est-à-dire, les fournisseurs, mais aussi les activités liées à la vente, à la distribution et au transport.
Les sanctions envisagées en cas de non-respect des obligations vont jusqu’à une amende de 5% du chiffre d’affaires.
Toutes ces obligations s’inscrivent également dans le cadre de la limitation du réchauffement climatique, pour lequel les entreprises seraient tenues de mettre en œuvre un plan de transition compatible avec une limite de réchauffement climatique de 1,5°C.