À la une
Télécharger la lettre d'information trimestrielle - Janvier 2025
Plaidoirie de l'année
La conscience relative ou la relativité de la conscience de l'employeur en matière de faute inexcusable
Sur le rejet de la contestation de l'imputabilité professionnelle
Sur l'appréciation des critères de la faute inexcusable
Risque hygiène sécurité
Contestation des taux de cotisations AT/MP : forclusion
En matière de faute inexcusable, la réparation d'une perte de chance de promotion professionnelle n'est pas subordonnée à la preuve du caractère sérieux de la chance perdue
Le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne peut pas être réduit en cas d'assistance familiale
Point de départ contestation de l'avis d'inaptitude
Inaction de l'employeur et procédure d'inaptitude
Risque contentieux social
Nullité du forfait jours et rappel de salaire au titre des heures supplémentaires : pas de compensation en cas de rémunération plus favorable que les dispositions conventionnelles
Effet d'une transaction signée antérieurement à l'inscription de l'établissement sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante
L'employeur n'a pas à obtenir l'accord du salarié protégé pour lui notifier une mise à pied disciplinaire
Risque pénal
L'allocation temporaire d'invalidité ne répare pas le déficit fonctionnel permanent
Incompétence de la juridiction répressive et indemnisation d'un accident du travail
Infirmation d'une relaxe d'un employeur et homicide involontaire
Risque environnemental
Espèces protégées contre projets d'intérêt national majeur
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Plaidoirie de l'année
Des moments de joie pour certains, de déception pour d’autres, de dépassement pour tous. Une période que d’aucuns ont qualifié de communion, de ferveur nationale, donnant lieu à une fierté retrouvée.
L’espace d’un instant, d’une respiration retenue, d’un point marqué, d’une seconde gagnée, nous avons pensé la compétition comme salvatrice.
Sauf à évoquer le caractère mercantile de cet évènement, les sacrifices indicibles des athlètes, quels seraient les enseignements de cette période, si ce n’est que la confrontation entre les Nations peut être vertueuse.
Pourquoi ne pas l’envisager en matière de droits de l’Homme, de défense de l’environnement, d’accès à l’éducation, pour célébrer les actions avec encore plus de ferveur ?
Au-delà des médailles, des performances et des exploits, nous retenons de cette trêve olympique que lorsqu’une cause réunie, elle dépasse les différences d’origine, de religion et crée une dynamique. De cet entrainement, les divergences peuvent laisser place à l’entête, à la vision d’un vivre ensemble.
Nous plaidons pour que l’année 2025 soit une année de concorde. Ce qui nous rassemble est tellement plus grand que nos différences.
Il nous appartiendra de trouver en nous et en l’autre, toutes les occasions de célébrer la fierté retrouvée, celle d’appartenir à une même humanité avec la responsabilité de transmettre cet héritage.
Valéry ABDOU
La conscience relative ou la relativité de la conscience de l'employeur en matière de faute inexcusable
La définition de la faute inexcusable est connue depuis l’arrêt du 28 février 2002 (n°99-17221) par lequel la chambre sociale considère l’employeur fautif dès lors « qu’il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ». Il sera rappelé qu’aux termes de cet arrêt fondateur, la faute de l’employeur, en l’occurrence la société SOLLAC, n’avait pas été retenue, au motif que cette dernière n’utilisait pas l’amiante comme matière première et qu’en conséquence, elle pouvait légitimement ignorer que les équipements de protection à base d’amiante présentaient un danger.
Concernant la conscience du danger, compte tenu de l’utilisation massive de l’amiante, les pourvois se sont succédés et la distinction entre les employeurs « professionnels de l’amiante » et les autres s’est estompée. La finalité de ce rapprochement était de traiter les salariés, victimes, indistinctement. A cet égard, la création du FIVA a démontré la volonté des pouvoirs publics non seulement de faciliter l’indemnisation amiable des préjudices résultant des expositions professionnelles à l’amiante, mais également de ne pas se placer systématiquement dans un schéma judiciaire à l’égard de l’employeur, soit que ce dernier n’existait plus, soit que l’ampleur de l’utilisation de l’équipement devait conduire à sélectionner les actions subrogatoires. Selon les données du FIVA, près de 100.000 indemnisations auraient été faites depuis sa création en 2003, représentant près de 7 milliards d’euros.
Cette volonté indemnitaire, quant à une problématique de santé publique, s’est accompagnée d’un élargissement de l’appréciation de la conscience du danger peu importe que l’amiante soit utilisée comme matière première (notamment 2ème chambre civile 3 juillet 2008 n°07-18689). Ainsi, la 2ème chambre civile a oeuvré pour une reconnaissance, quasiment systématique, de la responsabilité de l’employeur dès lors que l’exposition à l’amiante était établie.
Dès lors que l’employeur n’est pas en mesure de contester l’exposition, sa faute est retenue. En termes de défense, il peut envisager de retracer la carrière du salarié pour démontrer une multi-exposition (2ème chambre civile 14 mars 2023 n°11-26459), ce qui lui permettra non pas de s’exonérer de sa faute, mais de ne supporter que la part indemnitaire ramenée au prorata temporis de sa période d’exposition.
Plus récemment, la Cour de cassation a donné une appréciation restrictive de la notion d’exposition professionnelle pour les tableaux relatifs à l’amiante, à savoir que l’employeur était fondé à contester la présomption d’imputabilité quant à l’absence d’affectation du salarié à un poste correspondant à la liste limitative du tableau de maladie professionnelle (2ème chambre civile 29 février 2024 n°21-20688). Une telle remise en cause peut être opportune, même si l’issue du contentieux ne saurait en dépendre, dans la mesure où, saisie d’une telle contestation, la juridiction devra solliciter l’avis d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP), à charge pour ce dernier d’établir un lien de causalité direct entre la maladie déclarée et l’activité habituelle du salarié. Dans ce cas et si l’employeur n’est pas en capacité de démontrer soit une absence d’exposition, soit l’efficience d’une prévention (collective ou individuelle), il est fort probable, pour ne pas dire acquis, que la faute inexcusable sera retenue.
Relevant d’une appréciation souveraine des juges du fond, le constat de la présence d’amiante suffit à révéler le danger, dont la connaissance de la nocivité associée, rend de facto l’employeur fautif. Un tel raisonnement est également partagé en matière d’exposition aux agents chimiques
dangereux (ACD) et cancérogènes, mutagènes, reprotoxiques (CMR). L’évolution de l’indemnisation du préjudice d’anxiété permet sans contestation de corroborer que danger et exposition vont de pair.
Le rappel de ce préalable était nécessaire, pour comprendre qu’exposition à une substance toxique et conscience du danger sont à tel point liées que la contestation de l’employeur portait plus souvent sur la première, que la seconde. Issue d’une création prétorienne, l’appréciation de la conscience du danger, associée à celle de l’exposition, pourrait toutefois connaitre une nouvelle évolution.
En effet, dans un arrêt du 12 décembre 2024 (RG 23/01546), la Cour d’appel de Grenoble, saisie d’un appel formé par le salarié, a confirmé le jugement déféré et rejeté la demande indemnitaire au titre d’une faute inexcusable que le salarié avait engagée pour obtenir l’indemnisation des préjudices résultant d’un cancer du rein des suites d’une exposition au trichloréthylène.
Cette substance, un solvant chloré utilisé notamment pour l’extraction des graisses, appartenant à la famille des hydrocarbures, est classée par l’INRS H350, H341, comme pouvant provoquer un cancer et susceptible d’induire des anomalies génétiques. La dangerosité de ce produit avait été mise en exergue par le centre international de recherche contre le cancer (CIRC) en 1995, puis en 2012, le classant comme un agent cancérogène.
Mais ce produit a récemment intégré le référencement des maladies professionnelles, dans le tableau 101, créé par décret 2021-636 du 20 mai 2021, comme causal au cancer du rein, avec un délai de prise en charge de 40 ans, sous réserve d’une exposition de 10 ans, pour les travaux limitativement énumérés et portant sur l’exposition « aux vapeurs de trichloréthylène : dégraissage et nettoyage de l’outillage, des appareillages mécaniques ou électriques, de pièces métalliques avant 1995 ».
Pour la juridiction de première instance (pôle social du tribunal judiciaire de Grenoble), la faute inexcusable ne pouvait être retenue au motif que la dangerosité de la substance n’était connue qu’à partir des années 2000. Pour le tribunal et dans la mesure où le salarié avait quitté l’entreprise avant cette échéance, l’employeur ne pouvait avoir conscience du danger en cause.
Dans le cadre de son appel et sollicitant l’infirmation du jugement déféré, le salarié procédait, avant toute expertise contradictoire, au chiffrage de ses prétentions indemnitaires, représentant près de 400.000 €, hors majoration de rente. Au-delà de la problématique juridique, l’enjeu financier était loin d’être négligeable.
La défense de l’employeur, portait d’une part sur la contestation du caractère professionnel de la maladie et d’autre part sur l’absence de conscience du danger au vu des dates de publication et classement de la substance en cause. Enfin, l’employeur démontrait la mise en place de mesures de prévention, dès les années 70, participant au respect de son obligation de sécurité de résultat.
L’arrêt est riche d’enseignements sur l’ensemble de l’argumentation développée par l’employeur et mérite une analyse détaillée.
Sur le rejet de la contestation de l'imputabilité professionnelle
A/ Sur la pluralité d’avis de CRRMP
En l’espèce et lors de la déclaration de sa maladie professionnelle, le cancer du rein ne faisait pas partie des pathologies inscrites aux tableaux. C’est donc fort logiquement, en application de l’article L.461-1 alinéa 4 et 5 du code de sécurité sociale, que la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) a sollicité l’avis d’un CRRMP. Il est intéressant de relever qu’en l’espèce et en plus de l’exposition au trichloréthylène, le salarié se prévalait d’une poly-exposition « à l’amiante, aux fuels lourds, benzène, toluène et amines aromatiques ». Au soutien de son argumentation, il produisait une attestation d’exposition, remise par son employeur, relevant les périodes et substances incriminées. Dans son questionnaire, présenté lors de l’instruction de la CPAM, il ne désignait pas formellement le
trichloréthylène comme étant à l’origine de sa maladie, pas plus que les attestations qu’il versait aux débats.
L’avis du CRRMP (Lyon en 2011) ne retenait aucun lien direct et essentiel, conduisant la CPAM à notifier un refus de prise en charge. Contestant cette décision, un autre Comité (basé à Montpellier) a été sollicité par le tribunal saisi uniquement de la contestation du refus de prise en charge. Ce dernier a également rendu un avis défavorable mais que la juridiction a entendu écarter au motif « qu’il n’avait pas discuté les connaissances médicales actuelles telles qu’elles peuvent être exposées dans la littérature scientifique ». Ainsi, le caractère « incomplet » des deux avis devait justifier la saisine d’un troisième comité.
Ce troisième comité (Dijon) a également rendu un avis négatif, conduisant à la confirmation du refus de prise en charge, par jugement du 16 avril 2015.
Saisie de la contestation de ce refus et par un arrêt du 15 novembre 2018, la Cour d’appel de Grenoble homologuait l’avis d’un quatrième comité (de Marseille), lequel retenait le lien de causalité entre la pathologie et la profession du salarié, au motif que « selon les données actuelles de la science, un lien a été établi entre l’exposition au trichloréthylène et le cancer du rein ».
La chronologie des avis devait l’emporter sur le nombre et peu importe que trois comités aient rejeté un lien, dès lors que le dernier avis rendu était favorable à ladite causalité. Il emportait ainsi reconnaissance du caractère professionnel de l’affection
Ce sera donc par décision du 21 février 2019, que la maladie déclarée en 2009 a été reconnue comme étant d’origine professionnelle, marquant ainsi le point de départ de la prescription biennale, à l’issue d’un « long » contentieux aux termes duquel l’employeur n’était pas partie à l’instance, quant à une action en faute inexcusable
Engageant son action en faute contre l’employeur, la question de l’exposition devait être à nouveau posée, puisque ce dernier en contestait l’utilisation.
Toutefois et comme l’a rappelé la Cour dans l’arrêt commenté, l’utilisation, et donc l’exposition, du trichloréthylène n’était pas contestable, dans la mesure où « elle découlait de la nature des fonctions de chaudronnier soudeur tuyauteur », induisant « un dégraissage soigneux (…) des équipements utilisés dans une usine de fabrication de produits chimiques ».
Rappelant nos propos introductifs, la coïncidence entre exposition et conscience du danger pouvait donc conduire l’employeur à craindre une reconnaissance de sa faute inexcusable, d’autant plus que le classement de ce produit parmi les agents cancérogène permettait difficilement d’en contester la dangerosité.
Dans le cadre de sa défense, l’employeur tentait de remettre en cause l’avis (le dernier) du Comité régional. Sans manquer de rappeler que les trois précédents excluaient tout lien, l’employeur échouait dans sa remise en cause de la présomption d’imputabilité. Sur ce point la Cour en profitait pour rappeler que depuis le décret du 20 mai 2021 précité, ce lien était présumé, puisque le cancer du rein était visé dans le tableau 101, relatif aux « affections cancéreuses provoquées par le trichloréthylène
B/ Sur la création du tableau 101 et la date de l’exposition
La référence au tableau n°101 est intéressante dans la mesure où sans en faire une application rétroactive, la Cour considère toutefois que la présomption d’imputabilité professionnelle
contemporaine, viendrait justifier de l’avis du dernier Comité, alors même que la mission de ce dernier était bien d’établir un lien direct et essentiel.
La durée de la procédure a été rappelée et si ce délai est habituellement critiqué par les justiciables, à juste titre, force sera de reconnaitre qu’elle a été bénéfique au salarié compte tenu des évolutions scientifiques permettant d’établir un tel lien.
Il sera toutefois rappelé la jurisprudence précitée du 29 février 2024 (n°21-20688), rappelant que la présomption ne joue que si, en matière de liste limitative, le salarié est directement exposé auxdites tâches. La Cour d’appel n’a pas cru bon de rappeler cette exigence, ou de préciser que la présomption ne trouvait à s’appliquer conformément aux modalités du tableau, impliquant notamment un délai d’exposition et une primitivité de la pathologie cancéreuse.
A ce stade, force sera de constater qu’à notre sens, le rappel à ce tableau avait pour finalité de valider l’autorité du dernier avis du comité, contraire aux trois précédents, éludant ainsi toute critique scientifiques/médicales quant au lien de causalité retenu, pour fonder une présomption d’imputabilité.
Dès lors et à compter de la publication dudit décret, la contestation de l’imputabilité professionnelle ne pourra plus se faire sur l’absence de lien, puisque celui-ci sera établi scientifiquement. L’employeur sera limité dans sa défense visant à contester l’imputabilité professionnelle, en matière de faute inexcusable ou de contentieux général, et devra soit contester l’utilisation de la substance elle-même, soit les modalités du tableau. Dans ce dernier cas, l’avis d’un comité régional sera sollicité et la notion de lien direct et essentiel sera vraisemblablement retenu, se référant aux connaissances scientifiques, telles que le rappelle la Cour dans l’arrêt commenté.
Une fois le caractère professionnel de la maladie établi (pour le salarié) et incontestable (pour l’employeur), le débat se tourne vers les critères de la faute inexcusable, finalité de l’action indemnitaire du salarié.
Sur l'appréciation des critères de la faute inexcusable
A/ Sur la conscience du danger
Dans l’arrêt commenté, la Cour d’appel rappelle le cadre jurisprudentiel applicable et notamment le fait qu’il est indifférent que la faute de l’employeur soit la cause déterminante du sinistre, mais qu’un lien de causalité « nécessaire » est suffisant
S’agissant de la conscience du danger, la Cour rappelle une appréciation in concreto qui doit se faire « compte tenu de l’importance de l’entreprise considérée, de son organisation, de la nature de son activité et des travaux auxquels étaient affectés son salarié ». Une telle appréciation reste toutefois peu commune en pratique puisque selon la définition la conscience « qu’aurait dû avoir » l’employeur, renvoie à l’abstraction de l’employeur diligent et soucieux tant de la prévention que de la norme applicable. La question de sa connaissance effective du risque n’est nullement une cause d’exonération de sa responsabilité, au risque d’encourager à une ignorance bénéfique.
Concernant le trichloréthylène, et renvoyant à la date de publication du tableau n°101 et du décret de 2021, même précédemment avec la classification du CIRC (voir supra), aucun employeur ne sera toléré, indépendamment de la taille de l’entreprise ou de son secteur d’activité, à prétendre en ignorer la nocivité.
Le rappel de cette appréciation in concreto est salutaire, mais ne correspond pas à la réalité contentieuse des employeurs.
De plus, il sera évoqué que l’utilisation de cette substance ne porte pas que dans le domaine « du dégraissage et nettoyage de l’outillage, des appareillages mécaniques ou électriques » visé au tableau 101. Comme précisé par l’INRS, cette substance a été également utilisée dans le domaine des blanchisseries (nettoyage à sec) et de l’extraction de produits organiques. Son utilisation est large et il sert notamment de composant d’adhésifs et de solvant dans les décapants à peinture, les lubrifiants, les peintures, les vernis, les pesticides, les nettoyeurs à froid pour métaux, les caoutchoucs et les élastomères. Il est utilisé également comme caloporteur à basse température et comme intermédiaire chimique dans la production de produits pharmaceutiques, d’agents chimiques ignifuges et d’insecticides.
Cette liste d’utilisation laisse augurer de version(s) complémentaire(s) du tableau 101, participant à l’élargissement de la présomption d’imputabilité. Rappelant que le tableau actuel mentionne un délai de prise en charge de 40 ans. A ce jour l’ampleur des demandes de prises en charge est inconnue, et partant, celle des contentieux en faute inexcusable.
Dans l’arrêt commenté, l’employeur contestait la conscience du danger au motif que les publications et classement rappelés, étaient postérieurs au départ du salarié de ses effectifs. Il est utile de rappeler qu’en terme d’imputation professionnelle sur le taux de cotisation de l’employeur, l’exposition antérieure à la date de création du tableau, donne lieu à un retrait des prestations sociales du compte employeur, au bénéfice du compte spécial. Cette mutualisation participe à exonérer la responsabilité de l’employeur, ne finançant pas le risque généré par son activité, sans pour autant contester l’exposition à proprement parler.
C’est par analogie que l’employeur a procédé, considérant qu’antérieurement à la publication, aucune information d’un danger ne pouvait lui être opposée.
En l’espèce, même si la Cour d’appel ne reprend pas précisément l’argument de l’employeur, sa motivation est intéressante et justifie qu’elle soit reprise intégralement, à savoir que « la conscience du risque que l’intimée avait ou aurait dû avoir est certes relative dans ce contexte mais pas totalement inexistante dans la mesure où avant 2012 le trichloréthylène avait déjà été classé comme cancérogène possible, puis probable à compter de 1995, mais aussi à raison de son inscription ancienne (1938) dans le tableau n°12 des maladies professionnelles comme susceptibles par son emploi ou sa manipulation de provoquer d’autres pathologies que cancéreuses ».
Nous relevons tout d’abord que de la distinction entre une appréciation in abstracto et in concreto, une voie médiane existerait à savoir « une appréciation relative ». Cette relativité s’appliquerait
au contexte règlementaire que la Cour rappelle. Se référant à l’absence d’inexistence (« n’est pas totalement inexistante ») dans la seconde partie de son raisonnement, nous sommes fondés à considérer que la relativité évoquée ne s’apprécie pas par rapport à un cadre général, mais à la situation propre de l’employeur dont la faute est recherchée.
On reviendrait donc à un cadre strict d’appréciation in concreto au terme duquel et en l’espèce il n’y aurait pas de conscience du danger au motif que l’exposition du salarié avait pris fin à son départ des effectifs, soit décembre 1998, et donc avant le classement de la substance en agent cancérogène (2012).
Le raisonnement de la Cour ne s’arrête pas à cette relativité, exclusive de la conscience du danger, puisqu’elle considère que cette dernière ne serait « pas totalement inexistante », reprenant à son bénéfice l’inscription au tableau 12 relatif aux affections professionnelles provoquées par les hydrocarbures aliphatiques halogénés.
La substance est effectivement inscrite, mais porte sur des « troubles cardiaques aigus à type d’hyperexcitabilité ventriculaire ou supraventriculaire et disparaissant après l’arrêt de l’exposition au produit », ou de la polyneuropathie ou des neuropathies optiques (pathologies listées en ligne D et E). Le tableau 12 prévoit un délai de prise en charge de 7 jours, induisant donc une période d’incubation moindre, laissant comprendre que l’apparition de symptômes est proche de la date d’exposition, sans prévoir de durée d’exposition, soit l’inverse du tableau 101 précédemment évoqué.
L’existence de la conscience du danger est donc retenue, par une analyse combinée de deux tableaux, l’un prévoyant la maladie cancéreuse, l’autre la substance, pour in fine considérer que l’employeur, indépendamment de la période d’exposition (le tableau 12 a été créé en 1938), devait prévenir tout risque de contamination.
En conséquence, l’inscription d’une substance serait intrinsèquement dangereuse, peu importe son classement en tant que cancérogène, à date de création du tableau de maladie professionnelle, induisant qu’antérieurement au 21 mai 2021, date de création du tableau 101 imputant le cancer du rein à cette substance, la relativité sera nécessairement exclue et partant la faute reconnue.
B/ Sur les mesures de prévention
Si la conscience du danger est retenue, la survenance de la pathologie, reconnue d’origine professionnelle après un long processus judiciaire, aurait dû/pu permettre à la Cour de statuer soit sur l’absence soit en toute hypothèse, l’insuffisance des mesures de prévention. En effet et ayant rappelé que la faute de l’employeur n’est pas déterminante, la dangerosité de la substance étant acquise, au bénéfice de l’analyse combinée des tableaux rappelés, le sort de l’employeur semblait être scellé.
Cela reviendrait à se méprendre sur l’appréciation des juges du fond, lesquels, à juste titre, considèrent que les critères de la faute s’analysent avec subsidiarité et que la survenance de la maladie quant à une exposition professionnelle n’induit pas, de fait, l’insuffisance de prévention.
C’est sur la base de l’attestation d’exposition délivrée par l’employeur que la Cour reprend les mesures de prévention mises en place au cours de la carrière du salarié. Cette attestation destinée à assurer un suivi médical post-professionnel est aussi (et surtout ?) un outil de défense de l’employeur, sous réserve qu’il soit en mesure d’assurer une traçabilité du risque mais également de la prévention.
La Cour cite donc la prévention tant collective (aspiration, ventilation) qu’individuelle (masque) et confronte cette situation matérielle aux témoignages versés par le salarié. A l’issue d’une analyse
factuelle et d’une confrontation des pièces et attestations, la Cour en déduit que « l’insuffisance des mesures de protection prises n’est pas avérée ». A la lecture de certaines attestations, force sera de reconnaitre que cette solution n’était pas évidente, puisque certains anciens salariés précisaient notamment que le système d’aspiration n’était pas efficient voire que certaines opérations devaient être réalisées « sans aspiration pour une meilleure qualité ».
Il est utile également de remarquer que le principe de relativité a été utilisé sur l’appréciation des mesures de protection puisque la Cour précise « qu’en l’état des connaissances disponibles pour cette pathologie sur la période d’emploi considérée, l’insuffisance des mesures de protection prises n’est pas avérée ».
Selon cette motivation il y a un double niveau d’appréciation selon qu’il s’agisse de la conscience du danger, ou des mesures de la prévention. Pour la première, il conviendrait de ne pas se limiter aux seuls tableaux de maladie professionnelle et de considérer que c’est la prise en compte de la substance, peu importe la maladie incriminée, qui matérialiserait l’information de la nocivité du produit. Cette appréciation élargie de la conscience s’opposerait à la seconde, aux termes de laquelle on se placerait, selon l’époque considérée, dans une légitime ignorance quant à l’efficience de la prévention.
Un tel raisonnement n’est pas sans rappeler l’évolution de l’obligation de sécurité de résultat, notamment celle de la prévention des risques, dès lors que l’employeur peut désormais s’en exonérer s’il
justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L4121-1 et -2 du code du travail (chambre sociale 25 novembre 2015 n°14-24.444) L’efficience de la prévention peut donc être relative, au
même titre que la conscience du danger. Cette relativité devrait participer à une individualisation des critères de la faute inexcusable, ce qui pourrait à terme conduire à en modifier la définition pour
supprimer cette conscience « qu’aurait dû » avoir l’employeur, pour se limiter à l’effectivité de celle-ci.
Au risque de fragiliser une construction jurisprudentielle en faveur des salariés, cela participerait à notre sens à une sécurisation juridique des employeurs confrontés aux évolutions scientifiques.
Risque hygiène sécurité
Contestation des taux de cotisations AT/MP : forclusion
Le recours de l’employeur en contestation du taux de cotisation AT/MP doit être engagé dans le délai de deux mois à compter de la date de réception de la notification de la décision fixant ce taux.
Toutefois, le délai de forclusion de deux mois ne peut pas être opposé à l’employeur qui, sans attendre la notification du taux de cotisation AT/MP, demande le retrait de son compte employeur du coût d’une maladie professionnelle ou l’inscription de cette maladie sur le compte spécial, sans attendre la notification du taux de cotisation AT/MP.
En revanche, ce délai est opposable à l’employeur lorsque la « demande, qui ne peut avoir pour effet de modifier un taux devenu définitif, est formée à l’occasion d’un litige en contestation de ce taux. Il appartient, dès lors, à la juridiction de la tarification de rechercher si le taux de la cotisation en cause a été notifié et revêt un caractère définitif ».
Cass. 2e civ, 17 octobre 2024, n° 22-20.692
En matière de faute inexcusable, la réparation d'une perte de chance de promotion professionnelle n'est pas subordonnée à la preuve du caractère sérieux de la chance perdue
En cas de faute inexcusable, le demandeur peut obtenir de l’employeur la réparation du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle. Dès lors que la chance perdue est réelle et non hypothétique, toute perte de chance ouvre droit à réparation, sans que celle-ci soit subordonnée à la preuve du caractère sérieux de la chance perdue.
Ainsi, la Cour de cassation revient sur sa jurisprudence antérieure en indiquant que toute perte de chance, réelle et non hypothétique, ouvre droit à réparation, abandonnant ainsi la nécessité du caractère sérieux de la chance perdue
Cass. 2e civ, 17 octobre 2024, n° 22-18.905
Le montant de l'indemnité allouée au titre de l'assistance d'une tierce personne ne peut pas être réduit en cas d'assistance familiale
Dans le cas d’une action en faute inexcusable, le demandeur a sollicité une indemnisation au titre de l’assistance d’une tierce personne, représentée par un membre de son entourage.
Pour fixer le montant de cette indemnisation, la Cour d’appel a tenu compte du fait que l’aide était assurée par une personne de l’entourage de la victime et a donc refusé de prendre en compte dans le montant de l’indemnisation les congés payés et jours fériés, inhérents à l’existence d’un contrat de travail.
Point de départ contestation de l'avis d'inaptitude
Pour constituer la notification faisant courir le délai de recours de quinze jours à l’encontre de l’avis d’aptitude ou d’inaptitude, la remise en main propre de cet avis doit être faite contre émargement ou récépissé.
Dans cet arrêt la cour précise qu’à défaut le délai de 15 jours pour contester l’avis d’inaptitude n’a pas couru et l’action en contestation doit être déclaré recevable.
Cass. 2e civ, 4 décembre 2024, n° 23-18.128
Inaction de l'employeur et procédure d'inaptitude
La cour de cassation casse et renvoi l’arrêt de la Cour d’appel qui a précisé que pour débouter le salarié de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail , l’employeur même si il avait tardé à engager une procédure de tentative de reclassement puis une procédure de licenciement, l’obligation de reclassement est autonome de celle de reprendre le paiement du salaire et n’est pas enfermée dans un délai , de sorte que la lenteur ne peut constituer un manquement de la part de l’employeur à ses obligations contractuelles ou légales.
La cour sanctionne l’arrêt en précisant qu’en statuant ainsi, alors qu’il ressortait de ses constations que le salarié avait été maintenu dans une situation d’inactivité forcée au sein de l’entreprise, qui l’avait contraint à saisir la juridiction prud’hommale, la Cour d’appel aurait dû déduire l’existence d’un manquement de l’employeur à ses obligations et qu’il lui appartenait de dire si un tel manquement était d’une gravité suffisante pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
Cass. 2e civ, 04 décembre 2024 n°23-15.337
Risque contentieux social
Nullité du forfait jours et rappel de salaire au titre des heures supplémentaires : pas de compensation en cas de rémunération plus favorable que les dispositions conventionnelles
Lorsque l’employeur se voyait opposer la nullité d’un forfait jour et par voie de conséquence un rappel d’heures supplémentaires, il pouvait tenter d’obtenir une limitation de la rémunération de ces heures supplémentaires en soulevant que compte tenu de son caractère forfaitaire, la rémunération versée tenait en réalité déjà compte, par définition, de l’intégralité des heures de travail que le salarié était amenées à réaliser dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, en ce compris les heures excédant la durée légale du travail.
Par un arrêt du 6 novembre 2024, la Cour confirme la position déjà adoptée en 2021 (Cass. Soc. 17 novembre 2021, n° 19-16.756) et considère que le versement d’un salaire supérieur au minimum conventionnel ne peut tenir lieu de règlement des heures supplémentaires.
Autrement dit, le seul fait de rémunérer le salarié au-dessus des minimas conventionnels ne peut permettre de considérer que cette rémunération contient une part de rémunération au titre des heures supplémentaires.
Ainsi, en cas de nullité de la convention de forfait en jours, le salarié est en droit de bénéficier d’un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires réalisées, quelle que soit la rémunération perçue.
Cass. Soc,6 novembre 2024, n°23-13.12
Effet d'une transaction signée antérieurement à l'inscription de l'établissement sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante
La Cour de cassation confirme sa position s’agissant de la portée de la transaction signée par le salarié antérieurement à l’inscription de l’établissement dans lequel il travaillait sur la liste des établissements ouvrant droit au bénéfice de l’allocation de cessation anticipée des travailleurs de l’amiante.
La Haute juridiction déclare irrecevable la demande du salarié compte tenu de la signature de la transaction qui, même rédigée en termes généraux, empêchait ce dernier de formuler valablement toute contestation portant sur l’exécution du contrat de travail ou sa rupture.
Il ressort toutefois de cette décision qu’une telle issue serait différente si le contrat de travail s’était poursuivi suite à la signature de la transaction. En effet, la Cour, pour justifier de sa décision, précise que « la transaction avait été signée à l’occasion de la rupture du contrat de travail » laissant entendre qu’en cas de poursuite des relations contractuelles suite à la signature de la transaction, l’inscription de l’établissement sur la liste ACAATA ouvrirait droit pour le salarié à une indemnisation malgré la signature de ladite transaction antérieurement.
Cass. Soc, 6 novembre 2024, n°23-17.699
L'employeur n'a pas à obtenir l'accord du salarié protégé pour lui notifier une mise à pied disciplinaire
Par un arrêt du 11 décembre, la Cour de cassation vient trancher une question restée en suspens s’agissant de la notification d’une mise à pied disciplinaire à un salarié titulaire d’un mandat.
La Cour considère qu’il n’appartient pas à l’employeur d’obtenir l’accord du salarié protégé pour lui notifier une telle mise à pied disciplinaire considérant notamment que cette mise à pied n’a pas pour effet de suspendre l’exécution du mandat de représentant du personnel et qu’elle n’emporte ni modification de son contrat ni changement de ses conditions de travail.
Cass. Soc, 11 décembre 2024, n°23-13.332
Risque pénal
L'allocation temporaire d'invalidité ne répare pas le déficit fonctionnel permanent
Saisie sur intérêts civils, suite à la survenance d’un accident de la circulation survenu au temps de travail d’un agent public, la chambre criminelle a rejeté le pourvoi déposé par la caisse de dépôt et consignation.
La Cour rappelle que depuis la décision de l’assemblée plénière du 20 janvier 2023, la rente versée à la victime d’un accident du travail (ou la pension d’invalidité), ne réparent pas le déficit fonctionnel permanent.
Logiquement, la chambre criminelle précise que le calcul de la rente accident du travail ou de la pension d’invalidité se fait, comme pour l’allocation temporaire d’invalidité, sur une base forfaitaire, de sorte qu’une distinction entre les modalités de recours des tiers payeurs selon qu’il s’agit de l’une ou l’autre de ces prestations ne se justifie pas.
Crim, 03 septembre 2024, n°23-83394
Incompétence de la juridiction répressive et indemnisation d'un accident du travail
Selon l’article L. 451-1 du code du travail, aucune action en réparation du préjudice causé par un accident du travail ne peut, en dehors des cas qu’il prévoit, être exercée conformément au droit commun, par la victime ou son ayant droit contre son employeur ou contre l’entreprise utilisatrice ou ses préposés.
La chambre criminelle casse l’arrêt déféré et rappelle que le tribunal correctionnel a déclaré les deux prévenus responsables du préjudice subi par la partie civile et que la juridiction répressive, qui n’a pas compétence pour se prononcer sur la responsabilité civile de l’employeur de la victime, ne peut que déclarer recevable la constitution de partie civile de cette dernière
Crim, 1er octobre 2024, n°24-80737.
Infirmation d'une relaxe d'un employeur et homicide involontaire
La Cour d’appel avait retenu la culpabilité de l’employeur du chef de mise à disposition d’équipements de travail ne préservant pas la sécurité du salarié pour des travaux temporaires en hauteur, mais l’avait relaxé du chef d’homicide involontaire au motif qu’il n’était pas démontré une violation manifestement délibéré d’une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement. Sur ce point la Cour d’appel avait relevé que l’employeur avait rappelé aux ouvriers la nécessité de porter leurs harnais de sécurité et que les échelles utilisées étaient arrimées.
La chambre criminelle casse l’arrêt sur la relaxer au motif que les juges du fond avaient relevé que l’absence de mise à disposition d’un échafaudage conforme, apte à prévenir le risque de chute de hauteur, était en lien direct avec la chute au sol du salarié.
Crim, 05 novembre 2024, n°23-86418
Risque environnemental
Espèces protégées contre projets d'intérêt national majeur
Concernant la dérogation à l’interdiction de destruction des espèces protégées, par une décision du 9 décembre 2024, le conseil d’Etat a accepté d’en soumettre la constitutionnalité, à l’appui d’un recours visant un décret pris en application de la loi industrie verte.
La disposition législative contestée permet de reconnaitre le caractère de « projet répondant à une raison impérative d’intérêt public majeur (RIIPM) » à des projets qualifiés par décret de « projet d’intérêt national majeur pour la transition écologique ou la souveraineté nationale »
Pour les requérants, ces dispositions portent atteinte notamment à la charte de l’environnement. Transmettant cette QPC, pour le conseil d’Etat, cette problématique « peut être regardée comme présentant un caractère sérieux »
Conseil d’Etat, question prioritaire de constitutionnalité, 9 décembre 2024 n°497567