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Covid-19 et risques juridiques en entreprise
Le Covid-19 ne s’est pas arrêté aux frontières et il est à craindre qu’il n’épargne(ra) aucune entreprise. Dans le respect des règles de confinement, nous avons organisé trois sessions de visio-conférence relatives aux risques juridiques pour les entreprises confrontées à cette épidémie. Nous avons limité l’étude de ces risques aux responsabilités afférentes au contrat de travail en intégrant le droit pénal, le droit de la sécurité sociale et le droit du travail, les domaines de prédilection du cabinet. Nous vous proposons de retrouver dans cet article la synthèse de nos développements, enrichis des références jurisprudentielles et des interrogations des participants.
La première difficulté réside dans le fait que les normes textuelles étaient, ou sont, en cours d’élaboration et donc que les obligations faites aux entreprises sont susceptibles d’évoluer. La seconde est relative à la densité de l’actualité médiatique et politique. Celle-ci doit nous rendre vigilants quant aux mesures prises par les employeurs considérant qu’in fine, leur suffisance ressortirait de l’appréciation souveraine et ultérieure de l’autorité judiciaire.
Lorsque les entreprises ont réclamé de l’exécutif que les éventuelles condamnations indemnitaires soient imputées sur le fonds de solidarité, la ministre du travail leur avait répondu que la question de la responsabilité pénale était « un faux débat ». Sans prétendre nécessairement les rassurer, mais se limitant à être en phase avec les préconisations économiques de son homologue de Bercy, elle attendait que les entreprises « fassent le nécessaire ». D’autres représentants politiques se sont mués en conseillers référendaires, n’hésitant pas à modifier les obligations juridiques des employeurs, pour les encourager à une reprise d’activité, en transformant l’obligation de résultat en une « simple » obligation de moyens (voir communiqué de presse du 21 mars 2020 quant à la continuité de l’activité pour les entreprises du BTP).
L’urgence de la situation justifie paradoxalement que chaque employeur prenne le temps de la réflexion avant de solliciter ses collaborateurs pour la poursuite ou la reprise de l’activité. En effet il est nécessaire de rappeler que devant les prétoires, les engagements politiques n’ont jamais été une cause exonératoire de responsabilité. Aussi, il est à craindre que malgré une volonté utilitariste, certaines entreprises voient leur responsabilité mise en cause, alors qu’au cours de ce mois de mars 2020, les confinés que nous étions, avaient pu les applaudir.
Même si le pouvoir d’appréciation des magistrats demeure, le cadre juridique de la responsabilité n’a nullement été modifié par les mesures d’urgence. Aussi et sous réserve d’une création prétorienne, d’une loi d’amnistie ou d’une mutualisation des condamnations à venir en lien avec le Covid-19, nous ne pouvons qu’attirer l’attention des employeurs sur les risques encourus.
La responsabilité pénale de l’entreprise (I) est celle qui a rapidement occupé l’actualité, de par la possibilité de se voir incriminer pour mise en danger de la vie d’autrui. Ainsi, cette infraction, qui ne requiert pas à date de son engagement, la démonstration d’une atteinte à l’intégrité physique, a été la première à avoir été invoquée par certaines organisations syndicales. Si le caractère répressif de l’action pénale avait pu avoir pour finalité de limiter la reprise de certaines activités, il est acquis qu’une fois le confinement levé, ou en voie de l’être, le risque de contamination étant loin d’être exclu, la responsabilité sociale (II) de l’entreprise sera recherchée. Ainsi, la défense de l’employeur portera tant sur la mise en œuvre et l’efficience des mesures de prévention que sur sa capacité d’assurer la traçabilité d’une propagation du virus dans le périmètre de l’entreprise.
Si d’aucuns ont pu soutenir qu’il s’agissait d’un « faux débat », les problématiques existent et sont bien réelles. Ainsi et au-delà de l’inquiétude économique et sanitaire, une inquiétude financière devra être prise en compte sur la base des contentieux portés à l’encontre des entreprises. Toutefois, l’appréciation des juridictions saisies pourrait s’avérer novatrice et intégrer la spécificité de la période, à l’instar de la Cour d’appel de Colmar qui a pu caractériser l’existence d’un cas de force majeure quant à l’interférence du Covid-19 avec les exigences de déferrement d’une personne placée en rétention administrative (Arrêt du 12 mars 2020 n°20/01098). Nous rappellerons toutefois que dans l’histoire épidémio-judiciaire, la Cour d’appel de Besançon, dans un arrêt du 8 janvier 2014 (n°12-02291) avait considéré que l’épidémie de grippe H1N1 n’était pas un cas de force majeure car « largement annoncée et prévue ». La question sera entre autre de savoir laquelle de ces solutions judiciaires va se propager sur l’ensemble du territoire.
I. Covid-19 et risque pénal
Les infractions délictuelles en lien avec le Covid-19 qui pourraient être relevées sont : la mise en danger de la vie d’autrui, les blessures ou homicide involontaires. Les responsabilités des personnes morale et/ou physique tiennent compte de la faute à l’origine du manquement et de la causalité de celle-ci dans la survenance des faits.
A. La conception élargie de la faute de la personne morale
L’article 121-2 du Code pénal, modifié par la loi du 9 mars 2004, prévoit que « les personnes morales, à l’exclusion de l’État, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants ». Il sera rappelé que ladite loi a supprimé le principe de spécialité. Désormais, les personnes morales sont responsables de plein droit de l’ensemble des infractions sauf si le législateur exclu expressément cette responsabilité. Ainsi, l’article 121-3 précise qu’il y a délit, lorsque la loi le prévoit, en cas de « faute d’imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, s’il est établi que l’auteur des faits n’a pas accompli les diligences normales compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses missions ou de ses fonctions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait. »
La conception élargie de la faute de la personne morale a pour conséquence que sa responsabilité pénale peut être retenue sur la base d’une faute simple de négligence ou maladresse (Crim., 2 octobre 2012, n°11-84415) et ce, indépendamment de la prééminence de la causalité. Mais cet élargissement tient également à l’identification de la personne physique à l’origine de la faute en cause.
En effet, le texte de l’article 121-2 du Code pénal impose que l’infraction ait été commise par une personne physique, afin de rendre responsable la personne morale pour le compte de laquelle les faits ont été réalisés. Le caractère artificiel de la création d’une personne morale requiert le truchement d’une action d’une personne physique pour voir sa responsabilité engagée. Toutefois, et à supposer que la faute soit établie, l’identité de la personne, en ce qu’elle représenterait ou non l’entreprise, pourrait être une piste d’exonération de l’entreprise. Si la faute du dirigeant de fait a pu suffire (Crim., 11 juillet 2017, n°16-86092), il n’en demeure pas moins que le représentant doit être clairement identifié quant à ses pouvoirs (Crim., 6 septembre 2016), même si le fait qu’il soit le seul représentant d’une société de droit étranger pouvait lui conférer de facto cette qualité (Crim., 7 janvier 202,0 n°18-87027). Toutefois, dans un arrêt du 20 septembre 2011 (n°10-88653), la chambre criminelle inverse l’ordonnancement de son raisonnement et considère que l’employeur étant tenu de faire respecter les règles d’hygiène et sécurité à ses salariés et considérant que cette mission incombe au chef d’entreprise ou à son délégataire, que « logiquement », l’auteur du manquement avait obligatoirement la qualité d’organe ou de représentant. Agissant par voie de présomption, la question de l’identification de l’auteur des faits pourrait ne plus être cause de relaxe.
Enfin, dans un arrêt du 9 avril 2019 (n°17-86267), la chambre criminelle a jugé que « ne procèdent pas de manière indissociable d’une action unique caractérisée par une seule intention coupable d’une part, les atteintes involontaires à la vie ou à l’intégrité physique des personne commises par la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement d’autre part, les délits ou contraventions qui sanctionnent le non-respect de ladite obligation ». Sur cet arrêt et alors que matériellement un fait fautif unique avait été relevé, considérant qu’il constituait deux intentions délictuelles distinctes, la Cour de cassation a décidé que cette unicité n’était pas contraire à la condamnation de la personne morale et de la personne physique, sur la base de deux obligations juridiques différentes.
La facilité de reconnaissance de la faute pénale de la personne morale obéit tant à l’exigence de renforcer la prévention que de la possibilité laissée à la partie civile de solliciter l’indemnisation de ses préjudices, à l’encontre d’une entité a priori solvable.
B. Le cadre restrictif de la responsabilité de l’auteur indirect personne physique
Nous exclurons le cas de la personne, qui se sachant affectée, ira volontairement exposer un tiers par quelque manœuvre que ce soit. Un tel comportement ressortira clairement de la responsabilité pénale personnelle quant à la réelle intention de porter atteinte à l’intégrité d’autrui. La question se pose en revanche de la responsabilité pénale de la personne physique, en qualité d’auteur indirect du dommage. Si la finalité d’une telle action diverge selon qu’elle a été introduite par le ministère public ou la partie civile, le cadre juridique demeure identique.
1.Restriction normative : notion d’une obligation particulière de sécurité
Les normes en vigueur
Dans un arrêt du 2 septembre 2014 (n°13-83956), la chambre criminelle avait cassé l’arrêt déféré au motif que la cour d’appel qui, saisie de poursuites exercées contre une société du chef de blessures involontaires à la suite d’un accident du travail subi par un salarié, se borne à retenir à l’encontre de cette société la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité, sans caractériser ladite obligation. Ce préalable légal devrait conduire les juridictions à viser la norme en cause.
C’est à ce titre que la dualité du droit pénal du travail prend toute son ampleur, puisque la norme peut prendre son origine tantôt dans le code du travail, tantôt dans le code pénal. Pour le premier, la responsabilité du chef d’entreprise sera fondée sur les articles L.4741-1 et suivants qui, selon la jurisprudence, « lui impose de veiller personnellement à la stricte application des prescriptions légales et réglementaires destinées à assurer la sécurité du personnel ». Pour le second, elle sera constituée par l’obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi et visée à l’article 121-3 aliéna 3 du Code pénal.
Ainsi, le particularisme de l’obligation de sécurité demeure mais sa précision peut varier selon la norme qui va l’édicter. Dans un arrêt du 19 avril 2017 (n°16-80695) la chambre criminelle avait retenu la culpabilité de l’entreprise et de son représentant pour délit de mise en danger de la vie d’autrui au titre d’une exposition asbestosique. La Cour a confirmé l’arrêt déféré considérant que les prévenus étaient débiteurs d’une obligation particulière « issue d’un décret spécifique relatif à la protection contre les risques liés à l’amiante, dont les mesures n’avaient pas été respectées ».
En revanche, la caractérisation de « l’obligation particulière de sécurité » ne peut être retenue lorsque l’obligation méconnue présente un caractère trop général (Crim., 25 juin 1996), ou lorsqu’elle n’est pas contenue dans une loi ou un règlement, entendu au sens d’acte administratif à caractère général et impersonnel (Crim., 10 mai 2000).
Sur ce point et concernant le Covid-19, nous posons la question de l’opposabilité de l’article 2 du décret du 23 mars 2020 quant à l’existence « d’une obligation particulière ». Ce dernier dispose que « afin de ralentir la propagation du virus, les mesures d’hygiène et de distanciation sociale, dites « barrières », définies au niveau national, doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance. Les rassemblements, réunions, activités, accueils et déplacements ainsi que l’usage des moyens de transports qui ne sont pas interdits en vertu du présent décret sont organisés en veillant au strict respect de ces mesures». La généralité de la norme peut naturellement se comprendre du fait des modalités de propagation du virus. Mais ne serait-elle pas contraire à l’exigence de particularisme requise pour être opposable au seul employeur ? Sur ce point, tant pour la personne morale que la personne physique, le débat judiciaire s’imposera.
La causalité indirecte
La nécessité d’établir une faute qualifiée n’est imposée par l’article 121-3, alinéa 4, du Code pénal qu’au profit de ceux « qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter ».
La Cour de cassation ne s’arrête pas à la qualification du lien de causalité donnée par les juges du fond. Elle vérifie que cette qualification soit pertinente au regard des faits de l’espèce tels qu’ils ont été souverainement appréciés par eux. Il ressort en effet de l’analyse des arrêts rendus que le lien de causalité doit être considéré « comme indirect chaque fois qu’il est reproché à la personne poursuivie d’avoir, dans l’exercice d’une activité placée sous sa responsabilité, par un défaut d’organisation, de surveillance ou de contrôle, créé ou laissé créer une situation dangereuse ayant rendu possible la survenance du dommage dont la cause directe a été l’action ou l’omission de la victime elle-même ».
La problématique que les prévenus risquent de rencontrer portera sur la traçabilité de la contamination. Si dans cette hypothèse la causalité peut n’être qu’ « qu’indirecte », elle doit pour autant participer à la réalisation du dommage. Par analogie en termes de cause exonératoire, nous rappellerons que la faute de la victime est exclusive de responsabilité, lorsqu’elle est « la cause exclusive de l’accident (Crim., 9 mai 2012, n°11-86284).
Ainsi et pour contredire une telle causalité, il faudrait que le prévenu puisse démontrer que la contamination procède d’une exposition exclusivement extérieure à l’activité professionnelle. Si la démonstration de l’efficience des règles de prévention pourra s’avérer complexe, la problématique de la traçabilité de l’exposition semble impossible à ce point qu’elle justifie à ce jour nos confinements.
2. Restriction matérielle : notion de manquement manifestement délibéré / faute caractérisée
La pluralité de fautes de négligence/maladresse et la caractérisation du manquement
Dans un arrêt du 2 mars 2010 (n°09-82607), la chambre criminelle a jugé que « le dirigeant a commis une faute à l’origine de l’accident et exposé autrui à un risque d’une particulière gravité qu’il ne pouvait ignorer compte tenu des avertissements répétés lui ayant été prodigués lors de la mise en place de la trappe ». Il ressort de cet arrêt que la faute caractérisée « peut se déduire d’une accumulation d’imprudences ou de négligences ».
Si le manquement délibéré, en ce sens qu’il constitue une violation établie de la norme, est suffisant pour engager la responsabilité pénale de l’auteur indirect (Crim., 1er février 2011 n°10-82764), l’absence de mesures organisationnelles peut suffire à établir la culpabilité de la personne physique auteur indirect du dommage (Crim., 19 février 2019 n°18-81589). En l’espèce, il était reproché au prévenu « l’insuffisance des dispositifs mis en place, notamment un plan de circulation matérialisé que par une signalétique aérienne à l’exclusion d’un marquage au sol ». Dans cette affaire c’était plus la suffisance, que l’absence des mesures de prévention qui était étudiée par la juridiction répressive.
Concernant le Covd-19 et comme nous l’évoquions précédemment, le caractère indicatif des mesures dites de distanciation sociale et l’absence de mesures contraignantes pourraient conduire les juridictions, dans le cadre de leur appréciation souveraine, à une sévérité accrue quant à la dangerosité avérée dudit virus. C’est ainsi que l’employeur devra justifier de l’exhaustivité de la prévention, sans s’assurer que les fiches de prévention établies par secteur d’activité aient un caractère normatif suffisant pour être exonératoire.
La caractérisation de la faute par la connaissance du danger encouru
La faute caractérisée doit remplir trois conditions, à savoir : être « caractérisée » comme devant présenter un certain degré de gravité, avoir « exposé autrui à un risque d’une particulière gravité », sachant que l’exposition peut se limiter à une probabilité, bien que certaine, d’atteinte à l’intégrité physique ou de mort et enfin que l’auteur « n’ait pu ignorer le risque ».
L’ignorance de l’existence d’un danger quant à la contamination ou la propagation du Covid-19 ne saurait être entendue par les juridictions. En outre, l’intervention du représentant de l’employeur, au même degré d’exposition que ses collaborateurs, ne pourra être prise comme cause d’exonération au titre d’une éventuelle ignorance de la dangerosité (Crim., 9 avril 2019 n°17-86267).
Ainsi, un non-respect établi des « gestes barrières » caractériserait une telle faute. Toutefois, la question pourrait se poser de l’autorisation donnée par un employeur à ses salariés de travailler hors distanciation sociale, sous réserve qu’ils se dotent d’un masque, sans qu’il ne soit en capacité de leur en procurer. Le problème se poserait de l’efficience d’un mode de prévention confectionné par le salarié et ainsi de l’incompétence de l’employeur d’en apprécier l’efficience.
Si l’Afnor a publié un référentiel pour la fabrication et l’utilisation des masques, que l’Union européenne a dispensé les Etats membres d’attendre l’obtention de la conformité CE pour la mise sur le marché de ces équipements ou que la France a autorisé l’utilisation de masques ayant dépassé la date de péremption depuis près de deux ans, la question se pose de savoir si l’employeur, devant la pénurie de masques et l’impossibilité technique dans certains cas d’organiser une distanciation sociale, pourrait se voir opposer une faute caractérisée, limitée à la seule existence du danger du Covid-19.
II. Covid-19 et risque social
A. La prise en compte du Covid-19 au titre de la législation des AT/MP et conséquences indemnitaires afférentes
1. Le Covid-19 : AT ou MP ?
Caractérisation du fait générateur
Si l’accident du travail (AT) est celui qui survient par le fait ou à l’occasion du travail, la maladie professionnelle (MP) pourrait être décrite comme la conséquence de l’exposition plus ou moins prolongée à un risque lors de l’exercice d’une activité professionnelle. A ce jour et en l’absence de donnée médicale quant à l’exigence d’une durée d’exposition, ou à une quantité suffisante de l’agent pathogène, nous pouvons considérer qu’un fait soudain, en ce sens instantané bien que non clairement identifiable, puisse être à l’origine de la contamination.
Si l’orientation de la qualification AT ou MP va initialement déprendre du médecin prescripteur, nous considérons que la première rendrait la défense de l’employeur plus difficile. En effet et s’agissant d’une maladie hors tableau, outre le fait de disposer d’une instruction contradictoire obligatoire d’une part et de l’avis du Comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (le taux prévisible d’incapacité de 25% étant acquis) d’autre part, l’employeur pourra démontrer que l’efficience de ses mesures de prévention étaient exclusives de l’exposition pathogène.
A l’inverse, pour combattre la présomption d‘imputabilité visée à l’article L.411-1, il appartiendra à l’employeur de rapporter la preuve d’une cause « totalement étrangère » à l’activité professionnelle. Ainsi la question ne porterait plus sur les mesures de prévention, mais la causalité de l’affection.
Placé dans l’impossibilité de rapporter une telle preuve (voir infra : secret médical et respect de la vie privée), l’employeur ne pourra s’exonérer que par la preuve de l’absence de fait matériel. Ainsi et par l’intermédiaire de la prévention mise en place, il devra démontrer l’impossibilité de toute contamination, ce qui pour nous excède le simple respect de la distanciation sociale, mais implique le traitement des sols, la mise à disposition de masques, des relevés de températures…soit tout ce qui tendrait à démontrer que de par l’efficience de la prévention, le fait générateur n’a pu se produire au temps et lieu de travail.
L’obligation de l’employeur de déclarer le sinistre
Il ressort de l’article L.441-2 du code de sécurité sociale que l’employeur ne dispose d’aucune appréciation quant à la déclaration d’un accident du travail porté à sa connaissance par le salarié. Ainsi et même s’il en conteste l’imputabilité, il devra formaliser la déclaration afférente.
Selon la nouvelle procédure d’instruction, l’employeur disposera d’un délai de dix jours pour l’établissement de ses réserves, dont le caractère motivé sera apprécié en fonction de la remise en cause de la matérialité du sinistre, la référence à un état pathologique antérieur étant insuffisante à les caractériser (Civ., 2ème, 23 janvier 2014, n°12-35003).
L’ordonnance du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais pendant la période sanitaire ne semble pas concerner l’obligation de formaliser les déclarations d’accident du travail. En effet, il sera relevé d’une part que le code de la sécurité sociale n’est pas visé dans les textes normatifs et d’autre part, que l’ordonnance porte sur la prorogation des délais échus qui, selon l’article 1er « ont expiré ou expireront entre le 12 mars et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire ».
Enfin, nous rappellerons que l’article 1er II, 1° de ladite ordonnance précise que la prorogation n’est pas applicable « aux délais et mesures résultant de l’application de règles de droit pénal ». Sur ce point, nous rappellerons que l’obligation de la déclaration de l’accident et de la délivrance de la feuille d’accident par l’employeur ou son préposé est assortie d’une sanction pénale (contravention de 4e classe et contravention de 5e classe en cas de récidive dans l’année, soit respectivement 750 € et 1 500 €), conformément à l’article R. 471-3 du code de sécurité sociale. La pénalisation de cette obligation étayerait le raisonnement que l’employeur ne puisse différer son obligation de déclaration.
En tout état de cause, la pression médiatique et/ou syndicale a pu conduire certaines entreprises à fermer étant considérées comme « non essentielles à l’activité de la Nation ». Si le caractère « essentiel » a pu évoluer vers la notion de « vie économique de la Nation », il est acquis qu’un refus de l’employeur de déclarer un sinistre attisera les actions judiciaires, voire médiatiques, à son encontre.
Sur la situation des salariés intérimaires
Les salariés intérimaires ont pu être davantage sollicités au cours de la période actuelle, en vue de pallier l’absence de salariés permanents confrontés à des arrêts de travail, ou de gérer un surcroit d’activité lié à l’augmentation de la consommation alimentaire. Vous pourrez vous reporter utilement à notre second article consacré à la santé des salariés intérimaires. Toutefois et concernant le Covid-19, il nous semble opportun de rappeler, qu’en application de l’article L.1251-43 du code du travail, en son 5°, le contrat de mise à disposition prévoit « la nature des équipements de protection individuelle que le salarié utilise. Il précise, le cas échéant, si ceux-ci sont fournis par l’entreprise de travail temporaire ». Ainsi et sauf équipement de protection individualisé fourni par l’employeur juridique, la protection des salariés intérimaires sera opposable à l’entreprise utilisatrice.
Nous considérons qu’un utilisateur qui mettrait des mesures de protection particulières, conformément à ses obligations pour ses salariés permanents, devra nécessairement disposer des mêmes équipements pour les salariés intérimaires.
2. Les moyens de défense en matière de faute inexcusable
L’efficience des mesures de prévention
Si la reconnaissance de la culpabilité pénale laissera peu de doute sur l’existence d’une faute inexcusable, celle de l’établissement de la conscience du danger n’en laisse pas davantage. Ainsi la question se limitera aux mesures de prévention mises en place et l’appréciation par l’autorité judiciaire de leur suffisance. En effet, l’action en faute inexcusable requérant la prise en charge d’un sinistre au titre de la législation AT/MP, l’atteinte à l’intégrité physique d’une part et l’imputabilité professionnelle d’autre part seront établies.
Demeure le cas dans lequel l’employeur prend des mesures de prévention et qu’elles n’apparaissaient pas suffisantes pour éviter le dommage. Malgré l’évolution de l’obligation de sécurité de résultat, les composantes de la faute inexcusable demeurent et en premier lieu, l’appréciation des mesures de prévention. En outre, il sera rappelé qu’il s’agit d’un contentieux de sécurité sociale, alors que la détermination de l’obligation de sécurité de résultat s’est faite par la chambre sociale de la Cour de cassation.
Dans un arrêt du 20 juin 2019 (n°18-19175), la 2ème chambre civile a considéré que bien que la faute de l’employeur, consistant en la défaillance de la ceinture de sécurité, n’avait pas été la cause de l’accident, mais avait participé aux dommages, l’employeur avait conscience du danger postulant à la réalisation du sinistre. Il ressort de cet arrêt que l’appréciation de la prévention peut s’appliquer aux causes accessoires ayant participé à l’aggravation de l’atteinte à l’état de santé du salarié.
Dans un communiqué de presse du 26 mars 2020, le ministère du travail a précisé que si l’employeur pouvait mettre à disposition des masques périmés depuis deux ans, il devait pour autant respecter les préconisations de la direction générale de la santé, à savoir que les masques devraient faire l’objet de « quatre tests successifs » consistant en « la vérification de l’intégrité des conditionnement par contrôle visuel, de l’apparence (couleur d’origine) du masque par contrôle visuel, de vérifier la solidité des élastiques et de la barrette nasale de maintien du masque, de réaliser un essai d’ajustement du masque sur le visage ».
Si la dernière préconisation interroge sur un éventuel risque de propagation, la question demeure de la preuve que l’employeur pourra rapporter pour démonter de telles vérifications et donc l’efficience des mesures de prévention en cas de contentieux. Indépendamment des mesures prises, sur lesquelles les employeurs iront certainement au-delà des prescriptions usuelles, il restera la problématique du formalisme probatoire pour démontrer dans quelques mois, si ce n’est davantage, qu’il a fait le nécessaire en termes de prévention.
La formation
Dans des arrêts récents, la 2ème chambre civile avait retenu la responsabilité de l’employeur pour défaut de formation à la sécurité. Dans une affaire, la Cour avait considéré que le poste de travail, « présentant des risques particuliers », la victime aurait dû bénéficier d’une formation renforcée qui ne pouvait correspondre à la « simple signature d’une fiche d’accueil » (Civ., 2ème 4 avril 2019 n°18-14009). Dans un arrêt du 29 mai 2019 (n°18-17297), la Haute juridiction a estimé que « les consignes mentionnées dans le livret relèvent bien que l’employeur avait conscience du danger et que donc le poste de travail confié à l’intérimaire était dangereux et aurait dû faire l’objet de consigne de sécurité particulière ».
Si ces cas traitent de salariés intérimaires, la question reste identique à celle des salariés permanents quant à l’efficience de la formation donnée.
La mise à jour des documents de prévention
Dans un arrêt du 12 octobre 2017, la deuxième chambre civile de la Cour de Cassation a rappelé l’obligation pour l’employeur d’évaluer les risques de ses salariés et de les répertorier dans le Document Unique d’Evaluation des Risques Professionnels (DUERP) et que cette seule carence suffisait à l’établissement de la faute inexcusable.
Ainsi, qu’il s’agisse du DUERP, du PPSPS ou de tout document participant à la prévention des risques professionnels, indépendamment des modalités pratiques d’organisation du chantier et des mesures de prévention mises à disposition, la faute de l’employeur pourrait être retenue sur cette défaillance administrative, comme traduisant a minima une carence organisationnelle.
La responsabilité d’un tiers
L’employeur pourrait remettre en cause, dans le cadre du contentieux en faute inexcusable, l’imputabilité professionnelle de l’affection. Cela reviendrait à démontrer que celle-ci, ou à tout le moins la contamination, résulte d’un tiers à l’entreprise.
Ainsi et sous réserve de démontrer une telle contamination, l’employeur pourrait solliciter la mise en cause dudit tiers dans le cadre du recours en faute inexcusable, pour qu’il envisage ultérieurement une action à son encontre en vue de lui faire supporter tout ou partie de la dette indemnitaire.
Une telle demande posera la question encore une fois de la traçabilité de la contamination. Confronté aux secrets précités, l’employeur risque d’être le dernier débiteur de la contamination.
B. L’évolution de l’obligation de sécurité à l’épreuve du Covid-19
Depuis l’arrêt « Air France » du 25 novembre 2015 (n°14-24444) la chambre sociale a considéré que « ne méconnait pas l’obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, l’employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures prévues par les articles L.4121-1 et -2 du Code du travail ». Bien avant le Covid-19, l’employeur n’était plus tenu d’assurer l’intégrité physique ou psychique de ses salariés mais de mettre en œuvre toutes les mesures de prévention. C’est en cela que le caractère de l’obligation juridique est demeuré et que le résultat opposable a évolué.
Ainsi, seule l’exhaustivité des mesures de prévention pourra être exonératoire de responsabilité pour l’employeur, l’atteinte à la santé, n’étant plus la seule condition nécessaire à l’action indemnitaire. Dans les arrêts du 11 septembre 2019 (n°17-24289) relatifs à l’évolution du préjudice d’anxiété, la Cour permet à l’employeur de s’exonérer de sa responsabilité « s’il démontre qu’il avait effectivement mis en œuvre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».
Concernant l’attitude d’un salarié qui, par son état de santé, pourrait être à l’origine d’une contamination de l’ensemble de l’effectif, la question s’est posée de l’exercice du pouvoir disciplinaire de l’employeur, visant à démontrer l’efficience de son obligation de sécurité, dans le cas où le salarié était fautif dans l’information préalable de sa contamination.
Deux problématiques sont liées à cette situation, la première porte sur le respect de la vie privée, la seconde sur le secret médical, qui seraient contraires au fait que le salarié soit contraint de révéler une contamination (de lui-même ou de son entourage) ou qu’il soit sanctionné à ce titre. Toutefois, l’article L.4122-1 du code du travail rappelle que chaque salarié doit mettre en œuvre les moyens nécessaires pour préserver sa santé et celle des autres employés. Sur la base de ce dispositif et sans exclure qu’il soit par ailleurs mis en cause du délit de mise en danger de la vie d’autrui, un salarié pourrait être sanctionné pour ne pas avoir fait le nécessaire, au titre de la prévention collective. En ce sens et dans l’arrêt du 4 octobre 2011 n°10-18862, la Chambre sociale considère que « le salarié avait manqué à son obligation de ne pas mettre en danger, dans l’enceinte de l’entreprise, d’autres membres du personnel ».
La jurisprudence sanctionne toutefois l’employeur qui serait trop indiscret à l’égard de la santé de ses salariés. Ainsi et bien que disposant de l’avis favorable de son CSE, pour essayer d’anticiper un risque de propagation, l’usine PSA de La Janais (Rennes) avait demandé à ses 4000 salariés de prendre leur température à leur domicile et de la transmettre chaque jour à leur hiérarchie. Pour la CNIL, « l’employeur ne peut obliger ses employés à transmettre chaque jour les relevés de température ».
Plus que la communication de l’information, la problématique était bien celle du stockage de données à caractère personnel. Il ressort de cet avis que l’efficience de l’obligation de sécurité de résultat pourrait être limitée par d’autres principes protecteurs en lien avec les droits et libertés fondamentaux, ce qui renvoie indirectement à la difficulté que l’employeur va nécessairement rencontrer de la traçabilité d’une contamination.
Conclusion
Nos visio-conférences ont pu réunir près de 250 interlocuteurs, membres d’entreprises, de compagnies d’assurance ou de courtage, partageant une même exigence de protection des salariés, mais également une même inquiétude quant à la détermination des obligations opposables à l’employeur. Compte tenu du caractère évolutif du discours politique d’une part et des modalités de propagation du virus d’autre part, nos préconisations ne peuvent porter que sur le caractère probatoire des modes de prévention utilisés.
Si la prévention de la santé des salariés est une priorité, la défense des employeurs, sur le plan pénal ou social exige que les mesures prises puissent être démontrées par des éléments probants et surtout écrits. L’exigence de la formalisation des formations, de la mise à disposition des équipements de sécurité, des vérifications servira aussi à la défense des entreprises ».
En outre, tous les éléments qui viendront justifier des mesures prises, participeront à la preuve de l’exhaustivité de la protection et nous aideront à contester une imputabilité professionnelle.
A l’aune de cette nouvelle problématique juridique résultant de la période inédite que nous vivons, il est à espérer que l’autorité judiciaire fasse évoluer les jurisprudences antérieures, pour tenir compte de l’ensemble de ces situations.
La protection de la santé des travailleurs intérimaires
L’impératif de protection de la santé au travail révèle des problématiques particulières lorsqu’il s’agit des travailleurs intérimaires. Si l’obligation à la charge de l’employeur est la même, la particularité de cette situation d’emploi joue en faveur d’une certaine complexification. En effet, le travailleur intérimaire est salarié d’une entreprise pour laquelle il ne travaille pas et exécute une prestation de travail dans une entreprise avec laquelle il n’est pas lié par un contrat de travail. Le code du travail envisage cette situation et, pour pallier les difficultés d’organisation de la prévention, prévoit une obligation de coopération entre l’entreprise de travail temporaire et l’entreprise utilisatrice concernant la protection de la santé et la sécurité des intérimaires.
Pourtant, une étude menée par la DARES met en évidence que les intérimaires sont plus exposés aux risques professionnels. A titre d’exemple, les résultats de l’enquête consacrée aux ouvriers intérimaires permettent de dresser le bilan des contraintes auxquelles ils sont exposés : port et manipulation de charges lourdes plus de 20 heures par semaine, expositions aux produits chimiques dangereux, exposition importante au bruit, contraintes de rythme de travail…
C’est dans un contexte similaire, présentant un risque grave pour la santé des travailleurs intérimaires que la Cour de Cassation a été saisie.
Sur les faits ayant donné lieu à l’arrêt commenté, la société de travail temporaire Manpower mettait à disposition de la société Feedback des salariés intérimaires. Par délibération du 16 avril 2018, le CHSCT de Manpower a voté en faveur du recours à une expertise relative au risque grave encouru par les salariés mis à disposition de l’entreprise utilisatrice.
La société Manpower a contesté cette délibération, en saisissant, par la voie du référé, le président du tribunal de grande instance de Nanterre. Ce dernier a, pour annuler la délibération, retenu que le CHSCT de la société Manpower n’était pas compétent pour voter la mise en œuvre d’une expertise en raison d’un risque grave touchant les travailleurs temporaires mis à la disposition de la société Feedback. Par suite, le CHSCT s’est pourvu en cassation estimant que l’ordonnance rendue violait les articles L.4612-1 et L.4614-12 du code du travail lesquels prévoient d’une part les missions confiées au CHSCT en matière de prévention et de protection de la santé des travailleurs mis à disposition et, d’autre part, les conditions dans lesquelles cet organe peut faire appel à un expert.
C’est à l’issue d’un long visa que la chambre sociale de la Cour de cassation censure le raisonnement du juge du fond. Elle reconnait au CHSCT d’une entreprise de travail temporaire la possibilité de diligenter une expertise pour « risque grave » dans une entreprise utilisatrice. A ce titre, elle reproche au juge du fond de ne pas avoir vérifié si le risque grave et l’inaction de l’entreprise utilisatrice étaient ou non avérés.
Ainsi, la Cour de cassation vient préciser les conditions de recours à l’expertise (I) et renforce sa jurisprudence relative à l’obligation de prévention des risques professionnels (II).
I. La possibilité offerte au CHSCT de l’ETT de désigner un expert pour diligenter une enquête au sein de l’EU
Le Code du travail est très clair sur le rôle du CHSCT : contribuer à la prévention et la protection de la santé et de la sécurité des salariés de l’établissement et de ceux mis à disposition. Pour mener ces missions, le comité dispose de plusieurs moyens parmi lesquels le pouvoir de diligenter une enquête.
Aux termes de l’arrêt commenté, la Cour de cassation décide que « lorsque le CHSCT de l’entreprise de travail temporaire constate que les salariés mis à disposition de l’entreprise utilisatrice sont soumis à un risque grave et actuel, au sens de l’article L. 4614-12 du code du travail alors applicable, sans que l’entreprise utilisatrice ne prenne de mesures, et sans que le CHSCT de l’entreprise utilisatrice ne fasse usage des droits qu’il tient dudit article, il peut, au titre de l’exigence constitutionnelle du droit à la santé des travailleurs, faire appel à un expert agréé afin d’étudier la réalité du risque et les moyens éventuels d’y remédier. » Ainsi, deux conditions cumulatives doivent être respectées : l’identification d’un risque grave (A) et l’inaction de l’entreprise utilisatrice (B).
A. L’identification d’un risque grave
Selon l’article L.4614-12 du code du travail, le CHSCT disposait de deux hypothèses de recours à expertise : « 1° Lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l’établissement ; 2° En cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, prévu à l’article L. 4612-8-1. ».
Dans son arrêt, la chambre sociale de la Cour de cassation ne vise qu’une seule hypothèse, celle d’un risque « grave et actuel pour les travailleurs intérimaires ». La solution dégagée par la Haute juridiction ne saurait donc s’appliquer aux projets importants modifiant les conditions de travail.
Le respect de la condition relative à l’existence d’un risque grave pour la santé des travailleurs intérimaires pose à la fois la question de la définition d’un risque grave et de la charge de la preuve. En matière probatoire la réponse est classique, la charge repose sur le demandeur. Il appartiendra ainsi au CHSCT de rapporter la preuve de la gravité du risque pour justifier sa décision de recourir à une expertise.
S’agissant de l’appréciation du caractère de gravité invoqué, aucune définition légale n’est donnée, il convient donc de se référer à la jurisprudence. Dans une première décision, il ressort qu’un fait isolé même grave, en l’espèce le suicide d’un salarié sur son lieu de travail, ne saurait justifier le recours à expertise.
Dans une autre affaire, la Cour de cassation relève plusieurs éléments pour justifier le recours à expertise : plusieurs signalements au CHSCT, des plaintes d’agents souffrant de différents symptômes parmi lesquels des maux de têtes, nausées ; la signature d’une pétition ; l’exercice de leur droit de retrait et la production de certificats médicaux établissant une relation entre les pathologies constatées et le travail.
D’autre part et dans un arrêt du 25 novembre 2015 (n° 14-16033), la chambre sociale a confirmé la décision de la cour d’appel qui, pour rejeter la demande de l’employeur d’annuler la délibération du CHSCT décidant le recours à un expert, a constaté « que toutes les locomotives en service sur les sites concernés n’avaient pas été désamiantées, et que le risque d’exposition à l’amiante était reconnu à l’occasion de deux événements accidentels, ce qui caractérisait l’existence d’un risque grave, peu important que les agents y aient été sensibilisés à l’occasion de journées de formation ».
En conséquence, la preuve peut être rapportée par tout moyen. Pour autant et s’agissant de la charge de la preuve, il appartient au CHSCT qui se prévaut d’un risque grave de fournir les éléments de preuve d’un tel risque pour justifier la décision de recours à expertise. A la lecture de la jurisprudence, il apparait que des données chiffrées sur l’augmentation des pathologies permettent également de soutenir la décision de recours à expertise.
B. L’inaction de l’entreprise utilisatrice
La deuxième condition posée par la chambre sociale pour que le CHSCT de l’entreprise de travail temporaire diligente une enquête au sein de l’entreprise utilisatrice est le constat de l’inaction de l’entreprise utilisatrice et de l’institution représentative du personnel en charge des questions de santé et sécurité au travail.
C’est au CHSCT de l’entreprise utilisatrice qu’il appartient, en vertu des dispositions du code de travail, d’exercer une mission de vigilance à l’égard de l’ensemble des salariés de l’établissement placés sous l’autorité de l’employeur. Ainsi, il appartient en premier lieu à l’entreprise utilisatrice d’assurer la protection de la santé des travailleurs intérimaires au même titre que de ses propres salariés.
Pourtant, si la lettre du texte est claire, la réalité des situations de travail des intérimaires souvent mis à disposition pour des missions de courte durée met en évidence la difficulté pour les entreprises utilisatrices de prendre en charge les questions de santé au travail.
Force est de constater, dans le cas d’espèce, que les obligations à la charge de l’entreprise utilisatrice ne permettent pas de garantir la protection de la santé des travailleurs intérimaires. Sans aller à l’encontre du texte, la chambre sociale adopte une solution permettant de pallier les carences dans la prévention des atteintes à la santé des intérimaires. Ainsi, elle reconnait au CHSCT de l’entreprise de travail temporaire la possibilité de diligenter une enquête lorsqu’une défaillance au sein de l’entreprise utilisatrice est révélée.
Dans ce cadre, les juges précisent qu’il faut mettre en cause l’entreprise utilisatrice dans la mesure où l’expertise va se dérouler dans ses locaux. Cela doit laisser à cette dernière, la possibilité de contester si elle le souhaite la tenue de l’expertise en rapportant la preuve des mesures de prévention mises en œuvre pour exclure ou limiter les risques auxquels sont exposés les intérimaires.
C’est bien sur le terrain de l’obligation de prévention que la Cour de cassation envisage la possibilité pour l’entreprise utilisatrice de construire sa défense. L’argument selon lequel l’expertise pourrait constituer une atteinte au droit de propriété et à la liberté d’entreprendre, dans la mesure où des informations confidentielles pourraient être accessibles, ne saurait permettre d’exclure la tenue de l’expertise.
La Haute juridiction réaffirme ainsi une certaine fermeté s’agissant de la protection de la santé des travailleurs.
II. La protection de la santé : leitmotiv des décisions de la chambre sociale
Depuis maintenant plus de quatre ans et la publication de l’arrêt Air France, la chambre sociale de la Cour de cassation n’a de cesse, au fil de ses décisions, de conforter sa jurisprudence en matière de
prévention (B). Comme le précise Jean-Guy Huglo, Doyen de la chambre sociale, « notre message est clair : les entreprises doivent agir en prévention. Nous faisons remonter les obligations de l’employeur au niveau de la prévention en responsabilisant les entreprises ».
Pour autant, dans le cadre de l’affaire faisant l’objet de la décision commentée, les juges ne se contentent pas de faire application de la jurisprudence Air France. Ils fondent leur raisonnement sur un visa très fourni marquant la volonté de la chambre sociale de « porter le fer dans l’angle mort de la protection de la santé des salariés qui est la situation particulière des travailleurs intérimaires ». Partant, ils réaffirment l’importance du droit à la santé et à la sécurité des travailleurs au travail (A).
A. Le recours à un visa fleuve au soutien du droit à la santé
L’arrêt surprend par la longueur de son visa. En effet, les juges ne visent pas moins de huit textes en droit français et en droit européen sur la base desquels ils identifient « une obligation pour ceux qui emploient des travailleurs de veiller à ce que leur droit à la santé et à la sécurité soit assuré ».
Sans surprise, les juges s’appuient sur la directive cadre de 1989 laquelle prévoit une obligation de coopération entre les deux institutions représentatives du personnel de l’entreprise de travail temporaire et de l’entreprise utilisatrice. Notons toutefois que l’article 6§4 de la directive n’évoque pas directement l’expertise CHSCT. Il prévoit une obligation de coopération dans le cas où des salariés de plusieurs entreprises travaillent dans un même lieu. Cette obligation se matérialise également par un devoir d’information des entreprises entre elles, des travailleurs et de leurs représentants. C’est sur la base de cette obligation d’information que la chambre sociale considère que lorsque le CHSCT estime que l’employeur ne lui donne pas les éléments d’informations nécessaires, il est en droit de mettre en œuvre une expertise afin de recueillir lui-même ces informations.
D’autre part, les juges mobilisent, et c’est plus rare, une directive spécifique du 25 juin 1991 qui s’intéresse à la promotion de l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs intérimaires. Selon la Haute juridiction, l’article 8 de la directive susmentionnée met à la charge du CHSCT de l’entreprise utilisatrice une mission de vigilance à l’égard de l’ensemble des salariés de l’établissement placés sous l’autorité de l’employeur.
S’agissant du droit français, les juges visent l’article L.4614-12 sur les modalités de recours à une expertise par le CHSCT et l’article L.1251-21 4° du même code qui prévoit que pendant la durée de la mission, l’entreprise utilisatrice est responsable de la santé et de la sécurité au travail des intérimaires. Ces textes sont interprétés à la lumière de l’alinéa 11 du Préambule de la Constitution, de l’article 31 § 1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui garantissent le droit à la santé et à la sécurité de tout travailleur.
Cette décision va au-delà de l’obligation de prévention, elle qualifie le droit à la santé des travailleurs d’exigence constitutionnelle. La référence au bloc constitutionnel français et à la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne vient justifier la primauté accordée à la protection de la santé reconnue comme droit fondamental.
B. La confirmation de l’injonction faite aux entreprises d’assurer la prévention des risques professionnels
La décision de la Cour de cassation s’inscrit évidemment dans un mouvement jurisprudentiel plus large visant à favoriser la prévention des risques professionnels. Récemment, la Cour de cassation a fait évoluer sa jurisprudence restrictive. S’agissant du préjudice d’anxiété, elle reconnaît la possibilité à tout salarié exposé à une substance nocive ou toxique d’obtenir sur le fondement du manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur, la réparation de son préjudice. La Haute juridiction confirme sa position au fil des décisions : l’employeur doit prendre des mesures de prévention.
Depuis l’arrêt Air France, beaucoup de décisions rendues concernaient l’obligation de sécurité de résultat.
Ce nouvel arrêt permet également de revaloriser le rôle des instances représentatives du personnel et de rappeler que la prévention est l’affaire de tous.
Il convient tout de même de souligner que les faits de l’espèce ont été tranchés au regard d’une loi ancienne dans la mesure où ils concernaient un CHSCT. Si la loi actuelle relative au CSE reprend la possibilité laissée à cette nouvelle instance de recourir à une expertise en cas de risque grave dans les entreprises d’au moins 50 salariés, la situation n’est pas identique en tout point.
En effet, les ordonnances Macron sont venues modifier directement les règles de représentation des salariés intérimaires. Sous l’ancien régime, la jurisprudence avait reconnu aux salariés intérimaires la possibilité d’être élus au CHSCT de l’entreprise utilisatrice. Cette décision allait dans le sens d’une meilleure prise en compte de la problématique de la santé des intérimaires et leur permettait de participer aux réunions de l’instance représentative en charge de cette question. Même si cette possibilité était rarement mise en œuvre compte tenu de la durée des missions elle laissait dans certains cas la possibilité aux intérimaires d’être directement représentés au sein de l’instance.
Depuis les ordonnances Macron, l’article L.2314-23 du code du travail exclut expressément cette possibilité. Si les textes prévoient qu’il appartient en premier lieu à l’entreprise utilisatrice de mettre en œuvre les mesures de prévention nécessaires à la protection de la santé des travailleurs intérimaires., l’interdiction d’élire un salarié intérimaire au CSE représente un moyen en moins de veiller à la protection de cette population de travailleurs pourtant particulièrement touchée par les risques professionnels.
Risque hygiène sécurité
Incidence de l'action pénale devant les juridictions de sécurité sociale
Dans cette affaire, un salarié a été victime d’un accident mortel causé par la chute de la toiture du bâtiment sur laquelle il effectuait des travaux. La mère de la victime a saisi une juridiction de sécurité sociale en reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.
Pour sa défense, l’employeur soutenait que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable était prescrite compte tenu du fait que la mère de la victime n’avait pas saisi la Caisse dans le délai légal de deux ans suivant la date de l’accident. Son deuxième axe de défense consistait à remettre en cause sa qualité d’employeur retenue par le juge répressif estimant que les juridictions de sécurité sociale devaient procéder à cette vérification indépendamment de l’autorité de la chose jugée au pénal sur l’action civile.
Sur la prescription : la Cour de cassation confirme le jugement d’appel. Elle précise que la prescription biennale opposable aux demandes d’indemnisation complémentaire de la victime ou de ses ayants droit commence à courir à compter de la date de l’accident et se trouve interrompue par l’exercice de l’action pénale engagée pour les mêmes faits ou de l’action en reconnaissance du caractère professionnel de l’accident. Si elle ne peut être retenue que pour autant que l’accident survenu à la victime revêt le caractère d’un accident du travail, la reconnaissance de la faute inexcusable, qui est indépendante de la prise en charge au titre de la législation professionnelle, n’implique pas que l’accident ait été préalablement déclaré à la caisse par la victime ou ses représentants dans le délai de deux ans prévu au code de la sécurité sociale. En l’espèce, la mère de la victime avait saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale, le 22 février 2012, d’une demande tendant à la reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur moins de deux ans après le jugement correctionnel du 16 décembre 2010 ayant définitivement condamné l’employeur, de sorte que ladite action n’était pas prescrite.
Sur le second argument développé par l’employeur s’agissant de la reconnaissance de sa culpabilité : les décisions définitives des juridictions pénales statuant au fond sur l’action publique ont autorité absolue au civil, à l’égard de tous, en ce qui concerne l’existence du fait incriminé, sa qualification et la culpabilité ou l’innocence de ceux auxquels le fait est imputé. L’employeur ayant été condamné pénalement, par une décision devenue définitive, pour le délit de travail dissimulé, il ne pouvait pas remettre en cause sa qualité d’employeur retenue par la juridiction pénale, de sorte que l’action en reconnaissance de la faute inexcusable dirigée à son encontre était recevable.
Civ., 2ème, 23 janvier 2020, n° 18-19080.
Computation du délai de 10 jours francs pour consulter le dossier médical
Après avoir contesté devant la commission de recours amiable la prise en charge d’un accident du travail, l’employeur a saisi une juridiction de sécurité sociale aux fins de se voir déclarer inopposable ladite prise en charge.
Selon l’article R.441-14 du code de la sécurité sociale, lorsque la caisse a procédé à une instruction, elle communique à la victime ou à ses ayants droit et à l’employeur, au moins dix jours francs avant de prendre sa décision, l’information sur les éléments recueillis et susceptibles de faire grief, ainsi que sur la possibilité de venir consulter le dossier.
Les juges du fond constatent que la lettre d’information de la clôture de l’instruction envoyée à l’employeur avant la décision de la caisse devant intervenir le lundi 5 mai 2014, a été reçue le 23 avril 2014 par la société.
Pour vérifier le délai, les juges se basent sur les articles 640 et 642 du code de procédure civile selon lesquels, la date de réception et celle de la prise de la décision ne doivent pas être prises en compte dans le calcul du délai, de sorte que le délai de 10 jours francs expirant le samedi 3 mai à minuit devait être prolongé jusqu’au lundi 5 mai à minuit. La décision de la caisse ayant été prise le 5 mai, n’a pas satisfait aux exigences de l’article R.441-14 du code de la sécurité sociale et doit être déclarée inopposable à l’employeur.
La Cour de cassation sanctionne cette décision. Elle estime que les articles du code de procédure civile précités ne sont pas applicables. Par conséquent, la décision de prise en charge doit être déclarée opposable à l’employeur, lequel a bénéficié d’un délai supérieur à dix jours francs entre la réception de lettre d’information de la caisse et la décision de prise en charge de l’organisme.
Civ., 2ème, 13 février 2020, n° 19-11253.
Sur la contestation de la prise en charge d'une rechute
Dans cette affaire, un salarié a été victime d’un accident du travail le 21 février 2012. Par décision du 13 avril 2015 la Caisse a refusé la prise en charge au titre de la législation professionnelle d’une rechute au 10 février 2015.
Le salarié a formé un recours devant une juridiction de sécurité sociale.
La Cour d’appel a déclaré recevable son action en contestation de la décision de refus de prise en charge de la Caisse et a ordonné une expertise médicale technique.
En défense la Caisse estimait que la demande du salarié était forclose dans la mesure où la demande d’expertise médicale doit être présentée dans un délai d’un mois à compter de la date de la décision. Toujours selon la Caisse, l’expertise ne pouvait pas non plus être sollicitée en invoquant la nécessité de trancher une question d’ordre médical.
C’est en application des articles L.141-1 et R.142-24 alinéa 1 du code de la sécurité sociale que la Cour de cassation réaffirme que le juge ne peut statuer qu’après mise en oeuvre de la procédure d’expertise médicale technique lorsque un différend d’ordre médical apparait en cours d’instance.
La Cour de cassation confirme le raisonnement de la Cour d’appel qui a constaté que la demande d’expertise technique était forclose, mais que la contestation du refus de prise en charge ne pouvait l’être au seul motif que le salarié n’avait pas demandé, dans le délai, l’expertise technique sur les difficultés d’ordre médical dont dépend nécessairement la solution du litige. Par conséquent, une expertise technique s’imposait étant précisé qu’elle n’avait préalablement pas était mise en oeuvre ni par la victime ni par la Caisse.
Civ. 2ème, 12 mars 2020 n° 19-10.439.
Risque contentieux social
Prise d'acte aux torts de l'employeur
Après avoir saisi la juridiction prud’homale d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail, le salarié a, par lettre du 28 octobre 2013, notifié à son employeur son intention de faire valoir ses droits à la retraite à compter du 1er janvier 2014, puis a sollicité la requalification de la demande de mise à la retraite en une prise d’acte produisant les effets d’un licenciement nul.
La Cour de cassation confirme l’analyse des juges du fond qui ont relevé que le salarié avait subi depuis 1992 des actes d’intimidation, d’humiliations, de menaces, une surcharge de travail et une dégradation de ses conditions de travail affectant sa santé. Ces faits étaient constitutifs d’un harcèlement moral ayant conduit à son épuisement et à l’obligation de demander sa mise à la retraite. Les juges estiment également qu’il a été victime d’une discrimination syndicale dans l’évolution de sa carrière et de sa rémunération.
Par conséquent, la persistance de ces manquements rendait impossible la poursuite de son contrat de travail et justifiait la prise d’acte de la rupture aux torts de l’employeur.
Soc. 15 janvier 2020, n° 18-23417.
Ordre des licenciements dans un PSE unilatéral
Le Conseil d’État confirme que la DIRECCTE ne peut pas homologuer un plan de sauvegarde de l’emploi établi par document unilatéral de l’employeur qui fixe l’ordre des licenciements sans tenir compte de tous les critères légaux.
Sur les faits : par une décision du 23 janvier 2018, la DIRECCTE a homologué le document unilatéral fixant le contenu du plan de sauvegarde de l’emploi d’une société. Ce plan prévoyait, dans le cadre d’une cession partielle, le licenciement de 156 salariés. La cour administrative d’appel a annulé la décision d’homologation du 23 janvier 2018. La société a formé un recours devant le Conseil d’Etat.
Aux termes de l’article L.1233-5 du code du travail » lorsque l’employeur procède à un licenciement collectif pour motif économique et en l’absence de convention ou accord collectif de travail applicable, il définit les critères retenus pour fixer l’ordre des licenciements, après consultation du comité social et économique.
Ces critères prennent notamment en compte :
1° Les charges de famille, en particulier celles des parents isolés ;
2° L’ancienneté de service dans l’établissement ou l’entreprise ;
3° La situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment celle des personnes handicapées et des salariés âgés ;
4° Les qualités professionnelles appréciées par catégorie.
L’employeur peut privilégier un de ces critères, à condition de tenir compte de l’ensemble des autres critères prévus au présent article ».
Au visa de ce texte le Conseil d’Etat estime qu’en l’absence d’accord collectif ayant fixé les critères d’ordre des licenciements, le document unilatéral de l’employeur fixant le plan de sauvegarde de l’emploi ne saurait légalement fixer des critères d’ordre des licenciements qui omettraient l’un de ces quatre critères d’appréciation ou neutraliseraient ses effets. Il n’en va autrement que s’il est établi de manière certaine, dès l’élaboration du plan de sauvegarde de l’emploi, que, dans la situation particulière de l’entreprise et pour l’ensemble des personnes susceptibles d’être licenciées, aucune des modulations légalement envisageables pour le critère d’appréciation en question ne pourra être matériellement mise en oeuvre lors de la détermination de l’ordre des licenciements.
En l’espèce le Conseil d’Etat confirme l’analyse de la cour administrative d’appel qui pour annuler la décision d’homologation retient que le plan de sauvegarde de l’emploi ne pouvait prendre en considération la seule ancienneté des salariés pour apprécier les » qualités professionnelles » mentionnées au 4° de l’article L.1233-5 du code du travail, dès lors qu’il ressort de l’analyse des pièces du dossier que d’autres éléments auraient pu être utilisés.
CE, 27 janvier 2020 n° 426230.
La publication d'un arrêté ACAATA complémentaire ouvre-t-elle un nouveau délai de prescription ?
Dans cette affaire, cinq salariés ont été engagés dès 1978 par une société spécialisée dans la fabrication de matériaux destinés à l’industrie automobile. Entre 1978 et 1980 ils travaillaient au sein de l’établissement d’Ozouer-le-Voulgis. A partir de 1980, ils ont été affectés sur le site de Saint-Just-en-Chaussée.
Par arrêté ministériel du 24 avril 2002, l’établissement de Saint-Just-en-Chaussée a été inscrit sur la liste des établissements susceptibles d’ouvrir droit à l’ACAATA pour la période de 1977 à 1983. Un arrêté complémentaire du 10 mai 2013 a réduit de 1981 à 1983 la période afférente à l’établissement de Saint-Just-en-Chaussée et a inscrit l’établissement d’Ozouer-le-Voulgis pour la période de 1977 à 1983.
Les salariés ont cessé leur activité entre 2012 et 2014. Le 22 juillet 2014, ils ont saisi la juridiction prud’homale d’une demande de réparation de leur préjudice d’anxiété.
La question était de savoir si le point de départ de la prescription quinquennale devait être fixé en 2002, date de publication de l’arrêté initial, ou en 2013, date du dernier arrêté complémentaire intégrant le site d’Ozouer-le-Voulgis.
Pour accueillir la demande des salariés la Cour d’appel estime que l’établissement d’Ozouer-le-Voulgis n’a été inscrit sur la liste ACAATA que le 10 mai 2013. Par conséquent, le délai de prescription de cinq ans n’était pas atteint lorsque les salariés ont initié leur action le 22 juillet 2014.
La Haute juridiction casse cette arrêt. Au contraire, elle considère que les salariés avaient eu connaissance du risque à l’origine de l’anxiété à compter de l’arrêté ministériel du 24 avril 2002 ayant inscrit le site de Saint-Just-en-Chaussée sur la liste des établissements permettant la mise en oeuvre du régime ACAATA, sur une période où ils y avaient travaillé.
Ainsi, la modification de l’arrêté initial, inscrivant un nouvel établissement dans lequel les salariés ont travaillé ne leur permet pas de bénéficier d’un nouveau délai de prescription.
Soc., 29 janvier 2020, n° 18-15388.
Prescription de la demande de requalification du CDD en CDI
Dans cette affaire, un salarié a été engagé dans le cadre de plusieurs contrats à durée déterminée du 20 novembre 2004 au 4 octobre 2013.
Le 7 juillet 2014, il saisit le conseil de prud’hommes d’une demande de requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée.
Selon les dispositions du code du travail, l’action relative à l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
La Cour d’appel accueille la demande du salarié mais uniquement pour les deux ans précédant la date de saisine de la juridiction soit pour la période du 7 juillet 2012 au 7 juillet 2014.
La Cour de cassation sanctionne la décision. Si le point de départ du délai de prescription est bien le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, le terme du dernier contrat, le salarié reste en droit, lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, de se prévaloir d’une ancienneté remontant au premier contrat irrégulier.
Soc., 29 janvier 2020, n° 18-15.359.
Sanction du licenciement en raison de l'état de santé
Dans cette affaire, un salarié ayant près de 25 ans d’ancienneté a été licencié pour insuffisance professionnelle. En contestation, il a saisi la juridiction prud’homale sollicitant la nullité du licenciement, prétendant être victime de discrimination en raison de son état de santé.
A titre liminaire, il s’agit de préciser le contexte dans lequel est intervenu le licenciement. Le 23 juillet 2014, à l’issue d’une visite périodique, le salarié a été déclaré apte par le médecin du travail. A compter du 28 juillet suivant, il a été placé en arrêt maladie et suivi pour un état dépressif. Le 17 septembre 2014, le salarié a adressé un courriel à ses responsables indiquant qu’il avait été arrêté pour burn-out.
Suite à différents échanges de mail, l’employeur a informé le salarié le 25 septembre 2014 qu’une procédure de licenciement était engagée à son encontre.
La Cour d’appel estime que les faits invoqués par le salarié – dont seulement certains sont établis – ne permettent pas de présumer que ce serait en raison de son arrêt de travail ( unique et limité dans le temps), du 28 juillet au 6 août 2014, suivi d’une reprise du travail, que l’employeur aurait décidé de le licencier en raison de son état de santé.
La Haute juridiction casse cette arrêt. C’est au visa des articles L.1132-1 et L.1134-1 du code du travail que la Cour de cassation considère que le fait que l’employeur ait engagé la procédure de licenciement huit jours après avoir reçu un courriel du salarié l’informant de ses difficultés de santé en relation avec ses conditions de travail, est un élément laissant supposer l’existence d’une discrimination en raison de l’état de santé de sorte qu’il incombe à l’employeur de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs, étrangers à toute discrimination.
Soc., 5 février 2020, n°18-22399.
Preuve du harcèlement
L’affaire présentée devant la Cour de cassation concernait une salariée déboutée en appel de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral.
Au soutien de ses prétentions elle formulait plusieurs reproches à l’égard de son employeur :
-le refus d’appliquer la convention collective des journalistes
-le fait de lui imposer une cohabitation dans son logement de fonction
-la modification de ses horaires de travail
-le fait d’avoir été sanctionnée par un avertissement qu’elle estimait infondé.
Pour débouter la salariée de ses demandes, la Cour d’appel procède à une appréciation des faits pris séparément et constate que l’employeur, dès qu’il en a été avisé par la direction du travail, a appliqué à la salariée la convention collective des journalistes, qu’il n’y avait donc pas de volonté délibérée de lui nuire. Il lui a été demandé, à titre exceptionnel, de partager son logement de fonction avec un salarié qui n’avait pas de logement, alors qu’un cyclone frappait l’île de la Réunion. Ce fait unique ne constitue pas, selon les juges, un agissement susceptible de porter atteinte à la dignité de la salariée. S’agissant de la modification des horaires de travail, cette possibilité est prévue par le contrat de travail et relève du pouvoir de direction de l’employeur. En ce sens, elle ne constitue pas une faute. Enfin, le fait d’infliger un avertissement à la salariée dans le cadre de son licenciement pour faute ne saurait à lui seul constituer un agissement répété susceptible de porter atteinte à sa dignité.
De plus, la Cour d’appel relève que les arrêts de travail que cette dernière verse aux débats n’établissent aucun lien entre sa maladie et des difficultés professionnelles imputables à l’employeur. Les juges considèrent que la salariée ne démontre pas que l’employeur a eu des agissements répétés ayant eu pour effet de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Par conséquent, le harcèlement moral n’est pas établi.
La Cour de cassation sanctionne cette décision. Elle estime qu’en statuant ainsi, c’est-à-dire en procédant à une appréciation séparée de chaque élément invoqué par la salariée, la cour d’appel a fait une mauvaise application du droit. Il lui appartenait de dire si, pris dans leur ensemble, les éléments matériellement établis laissaient présumer l’existence d’un harcèlement moral, et dans l’affirmative, d’apprécier les éléments de preuve fournis par l’employeur pour démontrer que les mesures en cause étaient étrangères à tout harcèlement moral.
Soc., 12 février 2020, n° 18-15045.
Application volontaire d'une convention collective prévue au contrat de travail
Dans deux arrêts du 4 mars 2020 (pourvois n° 18-11584 et 18-11585) plusieurs salariés d’une même société de transport ont saisi la juridiction prud’homale en paiement des temps de pause journalière de 30 minutes. Dans les deux espèces, les contrats des salariés stipulaient qu’ils étaient soumis aux dispositions de la convention collective nationale des industries métallurgiques.
Dans la première affaire, la Cour de cassation considère que l’application de cette convention collective avait été contractualisée et ne résultait pas d’un engagement unilatéral de la société, de sorte que la dénonciation de cet engagement était inopposable au salarié.
La Cour de cassation précise toutefois dans son arrêt que la contractualisation de l’application volontaire d’une convention collective nationale n’entraîne pas l’application des accords territoriaux qui la complètent. En l’espèce, l’application volontaire de la convention nationale de la métallurgie ne permet pas aux salariés de bénéficier d’un avantage prévu dans la convention collective des industries métallurgiques de la région du Havre.
Inaptitude du salarié et obligation de paiement du salaire
Dans cette affaire, une salariée a été placée en arrêt de travail pour maladie à compter du 7 mars 2013. Elle a été déclarée inapte à son poste par le médecin du travail à l’issue des examens des 29 août et 12 septembre 2014.
Le 3 décembre suivant, elle a été licenciée pour inaptitude. Souhaitant contester cette décision, cette dernière a saisi la juridiction prud’homale sollicitant la nullité du licenciement et le versement de diverses indemnités.
Sur pourvoi de la salariée, la Cour de cassation était amenée à répondre à la question de savoir si le salaire était dû à la salariée sur la période du 12 octobre au 3 décembre, sachant que l’employeur n’avait pas été en mesure de lui proposer un poste adapté mais que cette dernière avait retrouvé un emploi.
En effet, pour condamner la salariée à rembourser à l’employeur les salaires sur la période litigieuse, la Cour d’appel avait retenu que depuis le 17 septembre 2014, elle avait retrouvé un nouvel emploi à temps plein.
La Haute juridiction casse cette décision. Elle estime que le contrat n’avait été rompu que par le licenciement intervenu le 3 décembre 2014 de sorte que l’employeur était tenu de verser à la salariée, pour la période du 12 octobre au 3 décembre 2014, le salaire correspondant à l’emploi qu’elle occupait avant la suspension du contrat de travail.
Soc. 4 mars 2020, n°18-10.719
Risque pénal
Quelles responsabilités en cas d'accident mortel ?
Dans cette affaire, messieurs X et Y, salariés d’une société intervenant pour le compte d’un fournisseur d’énergie ont trouvé la mort par électrocution dans le cadre d’opérations de dépose de lignes à haute tension.
Les deux entreprises ainsi que Monsieur Z., salarié de l’employeur ont été poursuivis pour homicides involontaires.
A titre liminaire, précisons que la responsabilité pénale de l’entreprise commanditaire des travaux n’a pas été retenue dans la mesure où les éléments ne permettaient pas aux juges d’identifier précisément l’organe ou le représentant qui aurait commis les manquements reprochés.
Sur la responsabilité de l’employeur : la Cour d’appel relève que Monsieur X, chef d’équipe s’était vu remettre un plan de situation par Monsieur Z, son supérieur hiérarchique, la veille de l’accident. Le plan précisait que le poteau sur lequel ils intervenaient était toujours sous tension. La Cour d’appel estime ainsi qu’il ne pouvait ignorer que le travail dans une nacelle devait être réalisé avec une personne au sol. Par conséquent, les juges considèrent que l’intervention de Monsieur X accompagné de Monsieur Y ne pouvait s’expliquer autrement que par « une grave négligence de sa part », ne retenant aucune faute à l’encontre de l’employeur.
Sur la responsabilité de Monsieur Z : les juges retiennent qu’il n’avait pas de délégation de pouvoirs. Par ailleurs, le fait qu’il ait reconnu devant les enquêteurs avoir manqué à son devoir de surveillance de la composition des équipes intervenantes sur les chantiers, en laissant toute liberté aux salariés de s’organiser constituait une faute professionnelle, ayant d’ailleurs conduit à son licenciement. Néanmoins, l’accident mortel n’est pas rattaché par une relation de cause à effet à cette faute, dès lors que Monsieur X avait été informé, la veille de l’accident, de la délimitation de sa zone de travail par la remise du plan de situation des ouvrages et qu’il avait disposé du matériel nécessaire à la mise en sécurité de son intervention.
Pour conclure, l’employeur a pu s’exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve d’un lien de causalité entre une grave négligence d’un salarié qu’il ne pouvait éviter et le fait accidentel. S’agissant de Monsieur Z, sa responsabilité pénale n’est pas retenue d’une part en l’absence de délégation de pouvoir et, d’autre part, car aucun lien direct ne peut être retenu entre sa faute et l’accident.
Crim., 7 janvier 2020, n° 18-86293.
Responsabilité pénale en cas d'accident du travail
Dans cette affaire, un salarié intervenait sur un engin de chantier pour recentrer la bande d’un tapis de convoyage d’agrégats à recycler. Au cours de l’opération, son bras droit a été happé par la machine en fonctionnement. Suite à cet accident, la victime a subi une incapacité totale de travail de 95 jours.
L’employeur et son président ont été cités devant le tribunal correctionnel et condamnés pour blessures involontaires par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail et pour infractions à la réglementation sur la sécurité des travailleurs.
Pour confirmer le jugement, la Cour d’appel retient plusieurs éléments. Tout d’abord, les juges énoncent que les prévenus n’ont donné aucune instruction ou consigne concernant l’équipement de travail sur lequel intervenait la victime et aucune information sur la conduite à tenir face au décentrage de la bande du convoyeur. Aussi, la victime n’avait pas été formée sur l’utilisation de la machine, ni sur les procédures à suivre et les dangers qu’elle présentait.
L’argument de l’employeur consistant à dire que la victime avait reçu une formation « sur le tas » ne saurait constituer une preuve de formation spécifique du salarié pour les interventions de maintenance sur la machine. Les juges relèvent également que les salariés intervenaient de façon habituelle sur l’outil en marche et dévissaient sans difficulté les grilles de protection pour accomplir leurs tâches dans les temps les plus brefs, sans que l’employeur n’exigeât que les interventions fussent faites uniquement sur une machine arrêtée. En conséquence, les juges déduisent que le non-respect de ces dispositions réglementaires, relatives à la sécurité des salariés, par le président de la société a contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage.
D’autre part, les juges retiennent une faute personnelle de l’employeur en lien direct avec l’accident tenant compte du fait que l’intéressé est un professionnel qui emploie de nombreux salariés affectés sur du matériel de travaux publics de sorte qu’il ne peut ignorer les règles de sécurité propres à préserver la santé des travailleurs et les risques en présence. Pour retenir sa culpabilité les juges soulignent le caractère récurrent et la connaissance de l’employeur de la pratique usuelle des salariés consistant à intervenir sur des machines en marche.
La Cour de cassation confirme l’analyse des juges du fond retenant d’une part la culpabilité de la société et, d’autre part, celle de l’employeur à titre personnel.
Crim., 21 janvier 2020, n°18-87.109.
Risque environnemental
Renforcement de la protection de l'environnement
Le Conseil constitutionnel a été saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité de l’article L. 253-8 du code rural lequel à pour objet d’interdire, dès le 1er janvier 2022, en France, la production, le stockage et la circulation des produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées par l’Union européenne (herbicides, fongicides, insecticides ou acaricides), en raison de leurs effets sur la santé humaine, la santé animale ou l’environnement.
Selon les requérants, l’interdiction d’exportation, instaurée par ces dispositions, de certains produits phytopharmaceutiques contenant des substances actives non approuvées par l’Union européenne serait, par la gravité de ses conséquences pour les entreprises productrices ou exportatrices, contraire à la liberté d’entreprendre. Ils estiment qu’une telle interdiction serait sans lien avec l’objectif de protection de l’environnement et de la santé dans la mesure où les pays importateurs qui autorisent ces produits ne renonceront pas pour autant à les utiliser puisqu’ils pourront s’approvisionner auprès de concurrents des entreprises installées en France.
Au visa de la charte de l’environnement et de l’article 11 du préambule de la Constitution, le Conseil constitutionnel identifie deux objectifs à valeur constitutionnelle : la protection de l’environnement et de la santé. Ainsi, il appartient au législateur d’assurer la conciliation des objectifs précités avec l’exercice de la liberté d’entreprendre. À ce titre, le législateur est fondé à tenir compte des effets que les activités exercées en France peuvent porter à l’environnement, à l’étranger.
Selon la Haute juridiction, le législateur a entendu prévenir les atteintes à la santé humaine et à l’environnement susceptibles de résulter de la diffusion des substances actives contenues dans les produits en cause, dont la nocivité a été constatée dans le cadre de la procédure prévue par le règlement du 21 octobre 2009 relatif à la mise sur le marché de produits phytopharmaceutiques. Elle souligne également que les entreprises concernées disposent d’un délai supérieur à trois années pour adapter leur activité en conséquence.
Le législateur a donc assuré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre la liberté d’entreprendre et les objectifs de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement et de la santé, de sorte que les dispositions ne sont pas contraires aux droits et libertés garantis par la Constitution.
Conseil Constitutionnel, décision n° 2019-823, QPC du 31 janvier 2020.
Pollution de l'eau : responsabilité pénale de l'entreprise
La pollution d’un cours d’eau a été constatée à hauteur d’une station de traitement et d’épuration, exploitée par une société privée.
Les résultats de l’enquête diligentée révélaient des taux de concentration de nitrites, phosphates et ion ammonium supérieurs aux normes réglementaires.
Sur demande de la Fédération départementale du Rhône et de la métropole de Lyon pour la pêche et la protection du milieu aquatique (FDAAPPMA), le procureur de la République a saisi le juge des libertés et de la détention sur le fondement de l’article L. 216-13 du code de l’environnement d’une requête tendant à ce qu’il soit enjoint à l’exploitant de cesser tout rejet dans le milieu aquatique dépassant les seuils fixés.
Par ordonnance, exécutoire par provision, le juge a fait droit à la requête pour une durée de six mois. Le président de la chambre de l’instruction a suspendu l’exécution de cette décision jusqu’à ce qu’il soit statué sur l’appel. La Cour d’appel de Lyon a infirmé l’ordonnance du juge des libertés au motif que l’intervention du juge des libertés est nécessairement subordonnée au constat d’une infraction au code de l’environnement. Selon les juges, l’enquête de gendarmerie n’était pas de nature à répondre à cette exigence. La seule constatation d’anomalies quant aux concentrations réglementaires dans le cours d’eau ne saurait suffire à caractériser une faute de nature à engager la responsabilité pénale de la société incriminée étant précisé que cette dernière impute la pollution à deux autres entreprises pour déversements industriels dans le réseau d’assainissement.
La Cour de cassation sanctionne cette décision indiquant que l’article L.216-13 du code de l’environnement ne subordonne pas la mise en place de mesures conservatoires de protection de l’environnement à la caractérisation d’une faute dans le cadre de l’enquête.
Crim., 28 janvier 2020, n° 19-80091.