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Covid-19 et risques psychosociaux en entreprise
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Les risques psychosociaux (RPS), protéiformes dans leurs causes et leurs manifestations, obéissent pourtant à une même logique de prévention opposable aux employeurs et ce, même dans l’hypothèse où leur survenance ne serait pas le seul fait de l’activité professionnelle du salarié. Si l’évolution de l’obligation de sécurité de résultat permet l’exonération de ceux d’entre eux qui démontrent l’exhaustivité de leur prévention, demeure l’incertitude de tous quant à l’identification d’un risque, ou d’une situation, dont le ressenti subjectif est difficilement anticipable.
L’actualité médiatique et juridique a été monopolisée par les risques directs relatifs au Covid-19. Lors de nos visio-conférences, nous nous sommes intéressés à la thématique des RPS dans le cadre des nouvelles organisations de travail requises tant par l’urgence que par les préconisations sanitaires, mais aussi autorisées par les pouvoirs publics dans le but d’assurer une continuité de services pour certaines activités, voire de préparer la reprise d’une vie économique pour d’autres. Ainsi et selon certaines données statistiques, au cours de la période de confinement, 44% des salariés interrogés évoquaient une « détresse psychologique », que 18% d’entre eux qualifiaient « d’élevée », ce qui rendait le traitement de cette thématique nécessaire.
La variété des situations personnelles de confinement, la disparité des mesures de quantification de la charge de travail, associée à l’urgence de la mise en place du télétravail ont pu conduire non seulement à créer un cadre propice aux RPS, mais également à mettre les employeurs dans l’impossibilité d’assurer, par un management de proximité, l’efficience de leur prévention contre les RPS.
L’accord du 2 juillet 2008 relatif au stress au travail le définit comme « un déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et celle qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face ». Appliquée à la période de confinement ou de télétravail continu, la notion « d’environnement » ne serait pas exclusive de l’appréhension d’une vie familiale voire scolaire, dans un lieu non dédié à une activité professionnelle, sans les moyens usuellement à disposition au sein de l’entreprise. Ainsi la question de la responsabilité tant sociale que pénale d’un employeur se pose(ra), lorsqu’il n’a (ou n’aura) pas su adapter l’organisation et/ou la charge de travail de ses salariés.
Nous distinguerons les RPS du préjudice d’anxiété. En effet, ce dernier, dans sa nouvelle définition résultant des arrêts du 11 septembre 2019 (n°17-24879) ne peut être indemnisé que lorsqu’une exposition à une substance nocive ou toxique est susceptible de provoquer une pathologie grave. Or, une telle exposition n’est pas requise pour établir une situation de RPS dont les manifestations physiques peuvent aller bien au-delà des troubles psychologiques illustrant l’anxiété, puisqu’elles intègrent des douleurs, des TMS ou des situations pouvant conduire au suicide. Nous avions pu évoquer lors de nos sessions précédentes la possible extension du préjudice d’anxiété quant au risque même de contamination, dans le cas où la prévention serait insuffisante.
Dans un arrêt du 24 avril 2020, la Cour d’appel de Versailles a condamné la société Amazon pour ne pas avoir suffisamment évalué les risques, lui reprochant notamment l’absence d’évaluation des risques psychosociaux et la mise à jour du DUERP. En première instance, le Tribunal avait ordonné à l’entreprise de rendre « compte des effets sur la santé mentale induits notamment par les changements organisationnels incessants, les nouvelles contraintes de travail, la surveillance soutenue mise en place quant au respect des règles de distanciation et les inquiétudes légitimes des salariés par rapport au risque de contamination à tous les niveaux de l’entreprise ». Nous relèverons que l’employeur, soucieux de faire respecter les règles de prévention, s’est vu finalement mis en cause sur le terrain des RPS.
Le télétravail, imposé dans le cadre du confinement et recommandé dans la période actuelle, modifie clairement l’organisation du travail ainsi que la relation managériale, sans pour autant avoir bénéficié d’une anticipation permettant tant la prévention que la détection de situations pouvant générer des RPS, tel que l’exige l’accord de 2008 précité. La question se pose également du fondement de la responsabilité d’un employeur quant à des situations matérielles et/ou familiales, excédant le périmètre de son autorité. Si le temps du confinement est échu, les difficultés relatives à l’organisation du travail ainsi que les contraintes personnelles de certains salariés demeurent.
De plus, et en vue de préparer la reprise de l’activité économique, des dispositions permettraient aux employeurs d’astreindre davantage leurs collaborateurs, par une augmentation significative de leur durée de travail selon le secteur d’activité visé. Ainsi, nous rappellerons que l’ordonnance du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière notamment de durée du travail modifie la durée maximale hebdomadaire dans certains secteurs, pour la porter à près de 60 heures. Si le décret est en attente de publication, la question se pose nécessairement de savoir si l’autorisation réglementaire d’excéder la durée légale du travail sera une cause d’exonération quant à la surcharge d’activité en résultant ou à l’inverse, si cette dernière constituera la preuve matérielle d’une dégradation des conditions de travail, propice à la survenance des RPS.
Ces derniers, en tant que déséquilibre de perception d’une part, mais également d’inacceptabilité subjective d’une surcharge de travail d’autre part, peuvent également être retenus dans des situations objectives en ce qu’elles constituent un manquement de l’employeur à son obligation de prévention. Ainsi, bien que la charge de la preuve incombe au salarié, l’employeur devra démontrer, d’un point de vue matériel, les mesures mises en place tant pour la détection que la prévention de ces risques. A défaut, sa responsabilité pourrait être engagée au titre d’un renversement de la charge de la preuve, passant d’une impression subjective à un constat objectif d’une carence de prévention. Comme il a été jugé pour le DUER, l’employeur ne pourra se contenter de reprendre les directives gouvernementales dans ce contexte mais devra personnaliser, voire individualiser, sa politique de prévention pour intégrer un risque, ou un ressenti subjectif.
La cause des RPS sera donc fonction de l’organisation du travail lorsque le poste du salarié est exercé en télétravail. Ainsi, sa généralisation peut conduire à l’émergence des RPS (I). En outre, si les exigences économiques ont participé à la fin du confinement, elles ont aussi initié un débat quant à l’augmentation de la capacité de production pour rattraper ce que d’aucuns qualifient de « manque à gagner ». La relation entre la production et le temps de travail met en exergue la notion de charge de travail qui est un élément caractérisant la possible dégradation des conditions de travail (II), à l’origine des RPS.
I – La généralisation du télétravail, facteur de développement des risques psychosociaux
Le télétravail n’est pas un facteur de risque en lui-même, mais les conditions dans lesquelles il a été effectué en cette période de confinement et en post-confinement, peuvent être à l’origine du développement de troubles psychosociaux en lien avec le travail. Deux risques bien qu’opposés, peuvent postuler d’une même situation, à savoir l’isolement, et l’hyperconnexion. La fin du confinement a pu limiter le premier, sans exclure l’incidence d’une perte d’appartenance à une collectivité de travail ou d’une distanciation managériale (A), mais n’a pas nécessairement atténué le second dès lors que la relance de l’activité requiert une disponibilité accrue, sans que les contraintes personnelles et/ou familiales aient été pour autant atténuées (B). La confrontation entre les modalités de travail et l’augmentation de la charge de travail pose la question de l’équilibre vie privée – vie professionnelle, indépendamment du statut du salarié, opposable à l’employeur. La qualité de vie au travail (QVT) a dépassé les limites géographiques de l’entreprise et contraint l’employeur à intégrer les spécificités personnelles, familiales, organisationnelles de ses salariés.
A – Le risque d’isolement dans le cadre de l’exercice de l’activité en télétravail.
Par définition, le confinement a été exclusif de toute relation sociale, les limitant à des échanges tant numériques qu’à distance. Cette conséquence a nécessairement eu des impacts dans la relation de travail puisque indépendamment de l’organisation de l’entreprise, la distanciation sociale a conduit à une distanciation professionnelle. Là où le management pouvait être de proximité, il s’est distendu à tel point que les échanges informels, mais nécessaires pour apprécier la subjectivité d’une difficulté, ont disparu. La levée du confinement a permis de reprendre une vie sociale dans la limite des gestes barrières et de la limitation de la mobilité. Mais les encouragements à maintenir le télétravail, n’ont pas nécessairement permis de dissoudre un sentiment d’isolement que peuvent ressentir certains salariés.
Dans le cadre de ses publications, l’INRS a clairement mis en exergue ce risque en visant le fait notamment de ne plus aller sur le lieu de travail, de ne plus pouvoir retrouver les collègues, les éventuelles difficultés matérielles avec les TIC… Le risque d’isolement avait été identifié dans le cadre de la mise en place du télétravail, mais les modalités du confinement l’ont rendu plus présent, sans l’exclure totalement après le 11 mai.
L’Anact a proposé des préconisations pour limiter l’incidence du maintien du télétravail et l’accompagnement des salariés dans l’évolution technologique de leur poste, souhaitant redonner corps à un management de proximité, bien qu’exercé à distance. Ainsi les employeurs ont été encouragés à réaliser des réunions courtes et régulières en visioconférence, plutôt que par téléphone, d’utiliser des outils de messagerie instantanées, de créer des temps “de convivialité” virtuels, de réaliser un suivi tant collectif qu’individuel.
L’Anact préconise également d’inciter les salariés à mettre à jour quotidiennement leurs agendas partagés en indiquant les temps de travail et de garde d’enfants et de soutenir les coopérations à distance : mise en place de pratiques de « binômage » ou de partage d’expérience à distance entre salariés. Enfin, la prise de contact régulier, tant par les services RH que les représentants du personnel, dans un format institutionnel, permettra de maintenir ou de rétablir le lien social pour les personnes isolées, ou en difficulté avec la pratique du télétravail.
Cet isolement relationnel et la distanciation sociale avec l’entreprise peuvent se cumuler avec l’autre risque associé au télétravail, celui de l’hyperconnexion. Ce dernier peut résulter d’une mauvaise appréciation de la charge de travail par l’employeur, sans exclure qu’il procède également de l’initiative du salarié.
B – Droit à la déconnexion et personnalisation du télétravail
Conformément aux instructions sanitaires, les employeurs ont été contraints de généraliser le télétravail, lorsque l’activité le permettait, sans nécessairement avoir eu le temps de respecter les règles et la procédure prévues dans le code du travail. Cette nouvelle organisation de temps a, depuis le confinement et même après, été imposée à temps plein, à domicile et dans un environnement familial. La diversité des situations rencontrées, correspondant aux particularités de nos vies respectives.
Considérant que l’obligation de sécurité de résultat est opposable à l’employeur dans le cadre de la réalisation de la prestation de travail, nous pouvons en déduire qu’elle s’applique également lorsque le travail est réalisé au domicile du salarié. Si cette réalité existait dans un télétravail « normal », antérieur au confinement, elle bénéficiait malgré tout d’une organisation définie soit dans la charte interne, soit dans l’accord l’instaurant. Or, l’urgence postulant à sa mise en place a pu conduire à la généralisation du télétravail en l’absence de cadre susceptible d’éviter la survenance d’une situation d’hyperconnexion. Les circonstances particulières tenant au contexte épidémique ne sauraient permettre à l’employeur de s’exonérer de son obligation d’assurer la sécurité et de protéger la santé de ses salariés.
Conscient des effets néfastes de l’hyperconnexion sur la santé de salariés, le législateur s’est saisi de cette problématique. La loi du 8 août 2016 est venue consacrer l’existence du droit à la déconnexion (article L.2242-7 du code du travail) dont la finalité est de prévoir une durée maximale de connexion, d’assurer un repos journalier au salarié, de respecter la vie privée et de réguler la charge de travail.
En ce sens, les accords conclus visaient à assurer l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle. Ainsi, la sécurisation des périodes de repos, l’absence de sollicitation ou de contrainte en dehors des « heures habituelles de travail », la délimitation de plages horaires de connexion a participé à préserver, si ce n’est créer, une qualité de vie au travail. Qu’un accord instaurant le télétravail existe ou pas, la question du respect du droit à la déconnexion se pose dès lors que le cadre du confinement ne permettait pas aux salariés de se libérer un temps clairement identifié pour leur activité professionnelle, ou de dissocier celle-ci de leurs contraintes familiales.
Comme une réaction en chaîne, le décalage d’une journée de travail de certains salariés a pu interférer sur l’organisation d’autres et ainsi exclure tout respect d’un droit à la déconnexion. Est-ce que l’employeur en serait pour autant responsable ? L’articulation entre la vie personnelle et professionnelle visée à l’article L.2242-17 du Code du travail, semble exclusive de la situation de confinement que nous avons vécue.
D’autre part, le droit à la déconnexion marque une limite à l’exercice du pouvoir disciplinaire de l’employeur.
A ce titre, l’hyperconnexion peut aller de pair avec un contrôle plus important de l’employeur et un risque de basculement sur une qualification de harcèlement moral. Quelle que soit l’organisation du travail mise en œuvre dans ce contexte particulier, elle ne peut servir de prétexte à l’employeur pour solliciter ses employés en dehors des heures de travail. Mais plus que la limite horaire, un employeur pourrait être contraint de s’adapter aux exigences personnelles de ses collaborateurs. Ainsi et outre le risque d’hyperconnexion, celui d’une charge de travail inadaptée quant à la capacité de travail du salarié au vu de ses contraintes personnelles devrait être prise en compte.
Cette personnalisation du travail induirait une immixtion de l’employeur dans la vie privée de ses salariés pour apprécier notamment l’adaptation du travail avec leurs contraintes personnelles. Cette personnalisation irait dans le sens de l’obligation faite à l’employeur de veiller au respect du temps de repos. En ce sens, des échanges réguliers entre collaborateur(s) et manager(s) apparaissent indispensables pour définir les plages de travail en lien avec la réalité de l’organisation personnelle du salarié et adapter la charge de travail. Nous considérons que le risque d’une absence de personnalisation serait de nature à caractériser une situation de harcèlement moral, bien que la charge de travail ne soit guère plus importante que celle habituellement gérée par le salarié, au motif que la disponibilité de celui-ci serait moindre.
Qu’il s’agisse de la période de confinement ou de la situation présente, au cours de laquelle de nombreux salariés demeurent en télétravail, nous rappellerons que la Chambre sociale a pu retenir une situation de harcèlement sur une « courte période » et en l’occurrence de quelques semaines (chambre sociale 26 mai 2010). Nous rappellerons également que la persistance du manquement ne saurait être assimilée à une acceptation tacite de la part du salarié qui reste recevable à solliciter une indemnisation (chambre sociale 15 janvier 2020). Pour s’exonérer de sa responsabilité, compte tenu de l’évolution de l’obligation de sécurité de résultat, il appartiendra a minima à l’employeur de justifier des sollicitations à l’égard de son salarié quant à l’adaptation de sa capacité de travail au vu de ses contraintes personnelles et, le cas échéant, d’adapter la charge de travail en conséquence.
II – L’augmentation de la charge de travail, élément caractérisant la matérialité d’une dégradation des conditions de travail
L’appréciation de la charge de travail d’un salarié peut résulter tant du temps de travail que de la productivité réalisée par ce dernier. Lorsque les deux critères sont réunis la question se posera des causes d’exonération de l’employeur (B). Mais nous pouvons aussi considérer que la seule augmentation du temps de travail aura pour effet d’accroître la capacité de productivité. Ainsi et même si la seconde est une conséquence de la première, se posera la question de l’existence d’une telle dégradation lorsque l’augmentation de la durée du travail est autorisée par les pouvoirs publics (A).
A – L’augmentation réglementaire de la durée du travail
L’ordonnance du 25 mars 2020 portant mesures d’urgence en matière notamment de durée du travail est venue modifier considérablement la législation applicable. Si son application est à ce jour conditionnée à la parution d’un décret et limitée dans le temps jusqu’au 31 décembre 2020, il n’en demeure pas moins que les dérogations accordées aux entreprises de certains secteurs d’activité vont, du fait de l’amplitude horaire autorisée, clairement poser la problématique des conditions de travail. Considérant qu’il existe un lien de causalité entre durée et charge de travail, l’augmentation de l’une va de pair avec l’autre et ainsi abonde dans le sens d’une dégradation des conditions de travail.
Pour rappel, l’article 6 de l’ordonnance précitée prévoit à titre d’exemple, dans « certains secteurs d’activités particulièrement nécessaires à la sécurité de la Nation et à la continuité de la vie économique et sociale », que la durée quotidienne maximale pourra passer de dix à douze heures, que la durée hebdomadaire maximale passera de quarante-huit à soixante heures ou encore que le repos quotidien entre deux jours sera réduit à neuf heures, alors qu’il était de onze auparavant. Si la relance de l’activité économique peut s’accompagner d’une relance de la production, le pouvoir en place a fait le choix d’une augmentation de l’amplitude horaire des salariés en place, plutôt que de contrat dédié à la période actuelle. Nous rappellerons à ce titre qu’un contrat peut être conclu à durée déterminée en cas de surcroît temporaire d’activité. Ainsi, considérant que la législation en cause est temporaire, jusqu’au 31 décembre 2020, le recours à l’augmentation du temps de travail aurait pu être suppléé par des embauches temporaires.
Mais la réelle question qui se posera sera plus précisément de savoir si l’employeur, fondé à faire travailler ses salariés dans les limites rappelées, pourrait se voir reproché une situation de harcèlement moral au motif que le volume et/ou l’amplitude horaire caractériserait à eux-seuls une dégradation des conditions de travail.
La Cour d’appel d’Aix en Provence, dans un arrêt du 5 juin 2012 a pu rejeter l’accusation de harcèlement moral quant à une surcharge causée par l’absence d’un collègue non remplacé. Il est nécessaire de rappeler que l’arrêt a été motivé au titre du caractère récent de la situation en cause. Ainsi, qu’il s’agisse d’une mauvaise ventilation des tâches en cas de gestion de l’absentéisme, ou d’une augmentation de la durée de travail, bien que prévue réglementairement, les juridictions saisies auront une appréciation casuistique quant à la perception de ladite charge par le demandeur à l’action. Nous rappellerons que le stress se définit en premier lieu par une différence de perception. Cette subjectivité, associée au renversement de la charge de la preuve à l’encontre de l’employeur, imposera à ce dernier une réelle prévention.
A ce titre et sur une problématique connexe, nous évoquerons le jugement rendu par le tribunal correctionnel de Paris le 20 décembre 2019, affaire France Télécom, dans lequel, pour reconnaître la culpabilité des prévenus, la juridiction a retenu la notion de « harcèlement institutionnel ». Dans ce cas, la dégradation des conditions de travail n’est plus nécessairement relationnelle, mais organisationnelle, sans pouvoir exclure qu’un inspecteur du travail la considère comme “volontaire” dès lors qu’un employeur qui fixerait à soixante heures hebdomadaires la durée du travail, pourrait difficilement prétendre ne pas avoir conscience du danger auquel il expose son salarié.
B – Les causes d’exonération possibles de l’employeur
La caractérisation d’une situation de RPS est fondée sur une même situation juridique, à savoir un manquement à l’obligation de sécurité de résultat. Nous considérons que cette notion est à distinguer de la situation de harcèlement moral, que nous pourrions considérer comme étant autonome, bénéficiant à ce titre d’une définition pénale d’une part mais également de sanctions propres, telle la nullité ou l’indemnisation distincte de la rupture du contrat de travail.
Nous avions eu l’occasion de rappeler l’évolution de l’obligation de sécurité de résultat, notamment dans nos publications relatives au préjudice d’anxiété. Nous retiendrons dans le présent article que l’employeur peut s’exonérer d’un tel manquement dès lors qu’il démontre tant l’exhaustivité que l’efficience des mesures de prévention mises en place.
La difficulté de la distanciation sociale dans le cadre professionnel, impliquant l’institutionnalisation du télétravail, est de priver les managers de proximité de la lisibilité d’une situation individuelle et donc de la perception erronée d’un collaborateur ou du sur-dimensionnement d’une charge de travail. Comme nous l’avons vu, en cas de maintien du télétravail, l’adaptation de la charge de travail nécessitera la prise en compte du cadre personnel du salarié, induisant une personnalisation des temps de travail et/ou de connexion, avec une organisation de la chaîne hiérarchique et une gestion des priorités et modes de communication.
L’autorisation réglementaire d’une dérogation à la durée légale du travail, poserait la question d’une responsabilité étatique quant à l’autorisation donnée, à des fins économiques, aux employeurs d’augmenter directement la charge de travail des salariés. A ce titre et en cas de recours, se poserait la question d’une action récursoire pour un partage de tout ou partie de l’indemnité allouée aux salariés. A ce titre, il a été rappelé que les pouvoir publics pouvaient palier autrement le besoin de main d’œuvre, avec le même souci de productivité. Si l’accent a été mis sur l’augmentation du temps de travail, l’employeur faisant application de l’ordonnance, au motif qu’il ressort d’un secteur d’activité visé, sous réserve d’une prévention adaptée au volume d’heure, ne serait être le seul responsable d’une éventuelle dégradation des conditions de travail.
Enfin, l’adaptation de la charge de travail devrait s’accompagner d’un aménagement de tous les paramètres relatifs aux rémunérations variables. Ainsi, la durée du confinement devra nécessairement être prise en compte pour adapter tous les objectifs fixés annuellement, à défaut de quoi ceux-ci pourraient devenir irréalisables dans les dix mois restant ce qui participerait à une dégradation des conditions de travail. Toutefois et s’agissant d’un élément du contrat de travail, la modification devra requérir l’accord du salarié. La question se posera de savoir si ce dernier, refusant une perte financière (potentielle), peut ultérieurement reprocher à son employeur l’inadaptation de ses objectifs. Dans ce cadre, nous rappellerons que le refus n’étant pas fautif, l’employeur ne pourrait s’en prévaloir pour contourner son obligation de résultat. Ainsi, et si le salarié refuse un aménagement de ses objectifs (si sa rémunération en dépend), il appartiendra à son employeur de veiller à pouvoir démontrer en cas de recours à la mise en place d’une prévention ou de moyens complémentaires à disposition.
Conclusion
Parce que les RPS postulent d’une appréciation subjective, leur appréciation contentieuse reste difficile à appréhender. Pour contourner cet écueil, il est fréquent que les requérants multiplient les démarches avec notamment la formalisation de déclaration d’accident du travail ou de maladie professionnelle pour établir une imputabilité professionnelle à la dégradation de leur état de santé. Si la première est exclusive du caractère répétitif des agissements requis pour établir une situation de harcèlement, leurs prises en charge actent néanmoins d’un manquement à l’obligation de sécurité de résultat susceptible d’entraîner la faute inexcusable de l’employeur.
Ce dernier ne pourra s’exonérer que par la preuve des mesures de prévention mises en place. Au vu de la période actuelle, celles-ci devront nécessairement être revues et adaptées aux conditions individuelles de travail. A ce jour et pour certains salariés, le télétravail est devenu la norme alors même qu’aucune organisation conventionnelle n’a été prévue. Si cette carence pouvait se comprendre au début du confinement, en cas de contrôle et/ou de contentieux, les organismes et juridictions seront vigilants sur l’appréciation de la charge de travail indépendamment de la nécessité collective d’une reprise de l’activité économique
La situation d’urgence sanitaire a permis un élan de solidarité nationale à l’égard des salariés qui, bien que susceptibles d’être exposés, continuaient à travailler. Il est peu probable que cette solidarité soit la même à l’égard des entreprises qui participent à la reprise de l’activité économique mais qu’à l’inverse, l’aspect financier soit mis en exergue pour être opposé à la santé des salariés. Ces notions ne sont pourtant pas exclusives l’une de l’autre, le point d’équilibre étant la preuve des mesures de prévention instaurées par l’employeur.